Le bonheur au travail : les 10 clefs d'un bon équilibre

Mieux vivre au travail, c'est d'abord apprendre à connaître ses attentes, ses limites, son rapport aux autres et à l'entreprise... Coachs, consultants, psys: conseils d'experts pour remettre de l'harmonie dans sa vie professionnelle.

1. Trouver sa motivation

Le sujet n'a rien d'évident. La plupart des gens "ignorent leurs motivations profondes", constate Hélène Vecchiali, coach et psychanalyste (1). La thérapeute suggère de commencer par un exercice pratique : "Se souvenir d'une situation où l'on s'est senti enthousiaste et dynamique, puis repérer ce qui a déclenché le sentiment de satisfaction." S'agissait-il de la compétence de son chef? Du caractère soudé de l'équipe? De la bonne atmosphère générale ?  

Après avoir été identifiés, ces différents indices doivent être classés par ordre d'importance. "Les réponses étant individualisées, le résultat peut être très varié", constate Hélène Vecchiali. Dans un deuxième temps, la spécialiste propose d'examiner la situation inverse : repérer "un moment où l'on était peu épanoui dans son travail, peu concentré, démotivé". Là encore, l'idée est de revisiter le passé, de découvrir précisément ce qui s'est produit en soi en analysant, le plus finement possible, les paroles et les attitudes des uns et des autres, et en observant les émotions ressenties.  

L'étape suivante consiste à s'entretenir avec son manager pour lui suggérer de jouer sur les leviers de motivation personnels que l'on a ainsi repérés. "Vous, et vous seul, savez précisément quel est le bon environnement qui vous convient au travail", conclut Hélène Vecchiali.

2. Identifier son besoin de reconnaissance

Lorsqu'on n'obtient pas ce que l'on attend, on en conçoit souvent un sentiment d'injustice qui peut s'exprimer de trois façons différentes, précise Bruno Lefebvre, coach, enseignant, cofondateur de la société AlterAlliance. La première forme est dite "distributive" et repose sur la notion d'équité : pourquoi mon collègue est-il mieux payé que moi ? La deuxième est dite "procédurale" et renvoie à l'arbitraire : sur quels critères a-t-il été augmenté, et pas moi ? La troisième, relationnelle, concerne le respect et la légitimité : non seulement mon collègue est mieux payé que moi, non seulement je ne comprends pas pourquoi, mais en plus on me dit que j'ai encore bien de la chance d'avoir un boulot ! Détaille Bruno Lefebvre. 

Face à une telle injustice, avant même d'être reconnu par son supérieur ou ses collègues, il convient d'abord de se reconnaître soi-même, et ce sentiment-là s'appelle la "fierté", rappelle le spécialiste. Une fois celui-ci solidement arrimé, il sera alors temps de trouver une légitimation dans le regard des autres. A condition, toutefois, de savoir précisément la forme de reconnaissance que l'on recherche : parle-t-on de la reconnaissance de ses pairs saluant un travail bien fait ? Ou bien de celle d'un client ou d'un chef satisfaits, qui donne du sens à son métier et fait se sentir utile ? A chacun de se poser les bonnes questions. 

3. Tirer parti de ses échecs

"Je ne vaux rien", "Je suis nul", "Je rate tout"... Attention à ces petites phrases intérieures, qui sont autant de croyances et d'autojugements assassins. Des erreurs peuvent déboucher sur des processus créatifs -la tarte Tatin n'est-elle pas née de l'étourderie d'une demoiselle du même nom, qui enfourna les pommes avant la pâte ? Il faut apprendre à tirer parti de l'échec, car "c'est lui qui fournira de précieuses indications sur la possibilité de réussir la fois d'après, de sorte que le fiasco d'aujourd'hui peut tout à fait être le succès de demain", souligne la coach Pauline Charneau (2).  

Mais voilà : la démarche n'a rien de naturel dans la culture française. Notre système scolaire repose sur la logique et la déduction -tout le contraire de l'approche anglo-saxonne, fondée, elle, sur l'expérimentation et l'innovation. Prenons l'exemple d'un élève placé devant un questionnaire à choix multiples. S'il ne répond pas à une question, il a zéro, mais s'il se trompe il perd un point ! En France, "on voit d'abord et toujours ce qui ne va pas, avant même d'envisager que cela puisse s'améliorer, poursuit Pauline Charneau. Or, se tromper, c'est aussi apprendre; c'est donc progresser. L'échec, plus que la réussite facilement obtenue, permet l'audace, la créativité et la découverte". 

4. Mettre à distance ses émotions

Les Anciens appelaient "tempérance" le fait d'avoir une pleine conscience de ce que l'on éprouve -colère, allégresse, tristesse, honte, enthousiasme- afin de mettre à bonne distance ses sensations. Ancien cadre supérieur devenu conseiller financier, Thierry Brunel (3) suggère ainsi d'accueillir et de réguler ses émotions en les observant de la façon la plus neutre possible. Cela afin d'éviter tout débordement affectif qui aboutit, parfois, à une perte de contrôle, préjudiciable à son image au sein de l'entreprise.  

"Chacun d'entre nous peut être emporté par des émotions négatives, alors mieux vaut aller pratiquer quelques respirations profondes hors du bureau, plutôt que de craquer", relève Thierry Brunel, qui recommande un "travail personnel" d'identification de ce qui, à la maison, faisait office de norme comportementale tacite. Un exemple : "Quelqu'un ayant grandi dans une famille où l'on ne pleure jamais et où l'on n'a pas le droit de manifester ses émotions va être si corseté émotionnellement qu'il risque d'exploser de colère en cas de tension au travail." 

5. Harmoniser vie professionnelle et vie privée

Tous les spécialistes en conviennent - et le déplorent! -, la frontière entre la famille et le boulot est devenue très poreuse. Ainsi, plus de la moitié des cadres travaillent régulièrement le week-end, tant il est difficile d'échapper à la pression du "tout, tout le temps, tout de suite", aggravée par l'explosion des nouvelles technologies. Selon une étude de l'institut Icma portant sur 6 000 Français, le fait de travailler chez soi menace encore plus sûrement l'équilibre entre vie professionnelle et vie familiale que les délais trop courts ou la pression des employeurs. Chez les artisans, professions libérales et dans les entreprises individuelles, le risque est d'autant plus élevé qu'ils ne bénéficient d'aucun garde-fou, telle que la durée maximale légale de travail.  

D'où l'importance de se fixer des "normes individuelles", souligne Jérôme Ballarin, fondateur de 1762 Consultants et président de l'Observatoire de l'équilibre des temps et de la parentalité en entreprise. Il faut partir de quelques indicateurs propres à chacun : temps de sommeil minimal, pratique régulière d'un sport, aprèsmidi réservés aux enfants... On peut aussi comptabiliser la durée consacrée dans la semaine au travail, aux activités personnelles et aux contraintes de la vie quotidienne, avant d'en tirer les conséquences qui s'imposent...  

Jérôme Ballarin propose quelques règles d'or : ne pas regarder ses mails plus d'une fois par jour le samedi, prendre des vacances en lâchant l'ordinateur, se garder une demi-heure dans la semaine "comme une page blanche, pour limiter le tropplein professionnel". Et faire régulièrement le point avec soi-même. 

6. Cultiver l'entraide entre collègues

Contrairement ce que proclament certains spécialistes, le monde du travail est, avant tout, "un lieu de conflits, de besoins et d'intérêts divergents" entre dirigeants et salariés, rappelle Christine Jacquinot, coach et psychanalyste. Il est donc essentiel d'identifier ses attentes personnelles (veut-on plus de temps libre? Une augmentation? Une promotion?) et d'exprimer clairement ses besoins, avant de les confronter avec la réalité de son entreprise -quitte à entrer en désaccord avec sa hiérarchie. D'où l'intérêt de pouvoir compter sur ses collègues en cas de difficulté. Encore doit-on, au préalable, être capable de demander de l'aide.  

"Le simple fait d'attendre du soutien des autres est encore trop souvent perçu comme une preuve de non-performance et de faiblesse", regrette Christine Jacquinot. Cette situation est d'autant plus dommageable qu'aujourd'hui, plus que jamais, "l'individu a besoin des autres de la même façon que les autres ont besoin de lui, dans une société où l'interdépendance est devenue -au moins autant que l'autonomie célébrée par les dirigeants- une réalité qui s'impose à tous". Mais cela suppose de savoir passer du "quoi" (le contenu du projet) au "comment" (comment on va le réaliser ensemble). 

7. Développer son réseau

L'équation est simple : "Plus un salarié développe son réseau personnel, moins il est menacé dans son activité." Le constat se vérifie lorsqu'une réduction d'effectifs est à l'ordre du jour, par exemple, car l'image de chacun revêt alors une importance particulière. Travailleur ou dilettante, bon ou mauvais camarade, les réputations dépendent, pour une grande part, du degré de proximité avec les collègues et vous sauveront -ou vous perdront- en situation délicate. La force d'un bon réseau se mesure également lorsqu'il s'agit de développer ses projets personnels.  

"L'intelligence étant de plus en plus collective dans l'entreprise", comme le constate Jean-Claude Delgènes, directeur du cabinet Technologia, elle permet de faire avancer ses idées, de bénéficier des dernières innovations, d'évoluer avec le groupe, voire... d'obtenir une augmentation. De même, il est utile de saisir toutes les opportunités pour développer son réseau externe, que ce soit avec des clients, des sous-traitants ou des relations plus lointaines. 

"Dans tous les cas, il faut discerner précisément la fonction et le rôle de son interlocuteur. Une fois ses centres d'intérêt mis au jour, on peut alors se découvrir des points communs, détaille Jean-Claude Delgènes. C'est grâce à ces connexions personnelles que l'on va établir des liens de projets, des alliances éventuelles." Seul préalable, rappelle le directeur de Technologia : "Etre réellement à l'écoute des autres, c'est-à-dire attentif à eux et respectueux de leur personne, le tout sans cynisme ni manipulation." 

8. Enrichir ses compétences

Si l'on veut expérimenter le "cercle vertueux du management", selon la formule d'Hélène Vecchiali, il faut en premier lieu valoriser ses compétences. Or celles-ci se jouent sur trois niveaux, rappelle la spécialiste : savoir faire, savoir s'organiser et, enfin, respecter les timings. Outre les incontournables (agenda électronique avec alarme, rétro planning spécifique, prévisions à J - 10, J - 6...), Hélène Vecchiali recommande de viser la simplicité et l'efficacité. En cas d'arrivée d'un nouveau logiciel dans l'entreprise, par exemple, le mieux est encore de trouver un collègue plus calé en informatique susceptible de donner le coup de main nécessaire.  

Pour ce qui est du "savoir s'organiser", en revanche, il est essentiel de commencer par admettre ses manques et ses insuffisances. On peut ensuite lire des ouvrages spécialisés ou demander de l'aide à quelqu'un, une sorte de tuteur qui, selon les situations, sera un collègue, un voisin, un manager expérimenté, voire... l' "instituteur de ses enfants", sourit la spécialiste. Reste l'idée fausse, très ancrée chez de nombreux cadres de haut niveau, que "l'idée de génie surviendrait nécessairement au dernier moment, en stress intense".  

Même s'il est mal vu en entreprise de ne pas savoir tout faire, vite et bien, mieux vaut faire preuve d'humilité et de lucidité : être compétent, c'est connaître ses talents et ses moteurs; c'est aussi faire des choix dans les tâches à accomplir, en décidant parfois d'en laisser certaines de côté. Quant aux formations que propose l'entreprise, elles sont indispensables à toute évolution professionnelle et doivent être envisagées chaque fois que l'occasion se présente, y compris celles qui semblent un peu éloignées de ses centres d'intérêt. Les pouvoirs publics l'ont d'ailleurs compris, qui viennent d'instaurer un crédit de cent vingt heures utilisables toute la vie durant en une ou plusieurs fois. 

9. Ne pas tout attendre de l'entreprise

Que préfère-t-on ? La boîte qui promet des chefs gentils, des collègues accueillants et une ambiance au beau fixe ? Ou celle qui assure que tout est possible puisque tout dépend du salarié, lequel, s'il est performant, réussira à coup sûr? En réalité, aucun modèle ne propose un projet satisfaisant, puisque "le premier vous promet le bonheur en vous dépossédant de votre capacité d'agir et que le second fait peser sur vous, et uniquement sur vous, l'entière responsabilité de ce qui vous arrive", observe le consultant Bruno Lefebvre. Ce spécialiste penche pour une approche pragmatique du rapport au travail, où l'essentiel est de distinguer ce qui dépend de soi et ce qui n'en dépend pas.  

Le bonheur, "lié à l'extension de la capacité de chacun à agir, commence par une insatisfaction profonde, mais aussi par un renoncement : celui d'accuser l'autre d'être responsable de ce qui nous arrive", explique-t-il. Quant à prétendre qu'un salarié heureux serait nécessairement performant, et qu'une entreprise performante rendrait nécessairement un salarié heureux... "On se trompe de monde, lance Bruno Lefebvre : depuis quand le bonheur de l'un et les objectifs de l'autre sont-ils superposables ?" 

10. Etre indulgent avec soi-même

Pour se sentir bien dans une entreprise, il faut entretenir un rapport "sain" avec les autres et le travail, de même qu'un "rapport sain avec soi-même", note Patrick Légeron, directeur du cabinet de conseil Stimulus. Dans les faits, certains salariés s'impliquent dans leur métier "jusqu'à mettre en danger leur vie affective, voire leur vie tout court", déplore le psychiatre, en allusion aux situations de burn-out ou à quelques exemples récents de suicide au travail. "Avoir l'air heureux au travail reste suspect! ajoute Patrick Légeron. Il faut être soit niais, soit fainéant pour travailler en donnant l'impression de s'amuser. A croire que la rédemption par la souffrance et la douleur reste culturellement plus noble que la légèreté dans notre pays de tradition catholique..."

La solution pour sortir de cette culpabilisation étouffante? S'investir "raisonnablement", "diversifier" ses engagements personnels, exactement comme on gère son portefeuille en Bourse. Et le consultant de glisser ce conseil : "Eviter les émotions négatives ne dispense pas de faire preuve d'indulgence. Envers les autres bien sûr, mais surtout... envers soi-même! Ne pas s'accabler, ne pas entamer en permanence l'estime que l'on se porte. Bref, se comporter comme on le ferait avec son meilleur ami."

 

Source : lexpress.fr