Nozipho Mxakato-Diseko, la femme qui valait 80% de l`humanité

Des broches clinquantes, des tailleurs chatoyants et le verbe haut : Nozipho Mxakato-Diseko, l’ambassadrice sud-africaine dans les négociations climat et patronne, cette année, de la vaste coalition de pays en développement «G77 + Chine», détonne. Loin des austères négociateurs en costards, son franc-parler, son côté «badass» («dur à cuire»), comme la décrit une militante sud-africaine, et son charisme évident en font une figure des négociations de la COP 21. «C’est Diana Ross ! rigole Seyni Nafo, négociateur du Mali et porte-parole du groupe Afrique. C’est la vraie femme africaine, très chic.»

Les journalistes savourent les points presse pleins d’esprit de cette petite femme énergique et souriante, fumeuse invétérée, qui doit tenir dans la négociation les positions de 134 pays, sur les 195 pays signataires de la Convention climat des Nations unies (CCNUCC). Presque deux tiers du globe et 80 % de la population mondiale, pour un éventail de nations allant des pays les moins avancés et plus vulnérables (Mali, Bangladesh, petites îles…) aux gros émergents, de l’Inde à la Chine en passant par son pays.
Nozipho Mxakato-Diseko, 59 ans, fait le grand écart pour mettre tout le monde d’accord. Les réunions du G77 + Chine, à huis clos, sont parfois houleuses. Mais l’union faisant la force, cette coalition tient pour faire le poids face aux pays développés. Qui savent bien qu’il n’y aura pas d’accord, à Paris, sans eux.

Attelage hétéroclite
«Elle est vigilante à 10 000 %, raconte Seyni Nafo. Elle sait que le G77 peut exploser à tout moment, mais elle a l’intelligence, très fine, de permettre à chaque tendance d’avoir sa position et de la faire avancer.»«Elle est vraiment douée pour la médiation, commente Neoka Naidoo, du projet sud-africain sur l’empreinte carbone «90 by 2030». Elle essaye toujours de trouver un terrain d’entente, et connaît très bien les marges de manœuvre de chaque pays.»
Son pays illustre les tensions internes à l’attelage hétéroclite qu’elle conduit : à la fois pays en développement avec la moitié de la population vivant sous le seuil de pauvreté, et pays émergent, membre éminent des Brics (avec le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine). De même, si«Ambassador Diseko» tient au nom du G77 un discours ambitieux contre le changement climatique, l’Afrique du Sud n’est pas exemplaire. Dix-septième émetteur mondial de gaz à effet de serre, le pays a présenté une contribution nationale assez floue quant à ses ambitions de réduction des émissions. «Mais c’est déjà beaucoup pour un pays comme le nôtre, rappelle la Sud-Africaine Tasneem Essop, chef de la délégation du WWF sur les négociations climatiques. Nous avons entre 25 et 30 % de chômage, des zones entières sans eau ni électricité… L’Afrique du Sud est le deuxième pays le plus inégalitaire au monde. Il faut gérer la transition énergétique dans ce contexte. »
Ces jours-ci, Nozipho Mxakato-Diseko se montre ferme sur la question du financement, et les 100 milliards de dollars promis par les pays du Nord à ceux du Sud, en 2009, à Copenhague, pour les aider à faire face aux conséquences du changement climatique. «Ce n’est pas de l’assistance ou de la charité, et ce n’est pas la même chose que l’aide au développement, déclarait-elle mercredi. Le soutien financier des pays développés doit compenser les impacts de leurs émissions passées.»

Elle sait «provoquer quand il le faut», note Seyni Nafo. A Bonn en novembre, lors d’une négociation intermédiaire, elle avait fait sensation en critiquant vertement le texte proposé par les coprésidents des débats, jugé acquis à la cause des pays développés. «Pour nous, le changement climatique est un enjeu existentiel. Une question de vie ou de mort»,avait-elle martelé en séance plénière, sous-entendant que les présidents des débats discriminaient les pays du Sud comme au temps de l’apartheid.

Clandestinité
Le combat contre l’apartheid, l’ambassadrice l’a bien connu : cette docteure en philosophie, diplômée d’Oxford, a longtemps milité pour l’ANC de Nelson Mandela. Elle a organisé des levées de fonds pour la défense d’opposants anti-apartheid emprisonnés et a milité dans la clandestinité, à Soweto, avant de travailler avec l’ex-président Thabo Mbeki, alors à la tête de l’ANC. Elle représente son pays depuis 1996 à l’Agence internationale de l’énergie atomique et a pris la tête de la délégation de son pays dans les négociations climat en 2011. Mais ce n’est qu’avec sa casquette de présidente du G77, cette année, «qu’elle a vraiment pris son ampleur», décrit Tasneem Essop. «Elle est très attachée au multilatéralisme. Pour des Sud-Africains, c’est dans notre nature de tout faire pour construire l’unité : nous avons eu, il n’y a pas si longtemps, à négocier pour mettre en place une Afrique du Sud unie et démocratique.» Sur le site du G77, on apprend que Nozipho Mxakato-Diseko aime «faire du vélo» et… «débattre». Il lui faut bien ça, dans l’arène de la COP 21.

 

Source : liberation.fr