Lorraine Koonce et Constance Yaï, deux femmes dressées contre les mutilations génitales féminines

Lorraine Koonce vit entre la France et les Etats-Unis. Constance Yaï navigue entre la Côte d'Ivoire et Paris. La première est américaine, avocate et a fait de la lutte contre les mutilations génitales féminines sa principale plaidoirie. La deuxième a été ministre de la Condition des femmes à Abidjan, et cette petite fille d'exciseuse donne de la voix pour en finir avec cette main mise des hommes sur la sexualité des femmes, via ces opérations dangereuses et humiliantes. Les deux veulent en finir avec les traditions prétextes.

Elles n'ont pas la même histoire et pourtant, Lorraine Koonce et Constance Yaï se rejoignent dans leur engagement indéfectible contre la perpétuations des mutilations génitales féminines qui continuent à marquer nombre de femmes au fer rouge de la douleur et du manque, en Afrique, en Asie mais aussi au sein de certains peuples autochtones d'Amérique latine, et à travers tous les continents à la faveur des migrations nécessaires et inéluctables. Selon Selon un rapport publié en 2013 par l'Unicef, environ 130 millions de femmes et de filles vivent avec une MGF dans le monde, c'est à dire après avoir subi une ablation totale ou partielle des organes génitaux féminins externes, au premier rang desquels le clitoris, cette source infinie de plaisir sexuel pour les femmes.

Constance Yaï sait depuis toujours de quoi elle parle. Sa grand mère maternelle était une exciseuse réputée en Côte d'Ivoire, dans tout l'Ouest du pays. Mais, voilà, la fille unique de cette "matrone" a épousé un homme féministe. Et voilà comment Constance Yaï a grandi dans une famille qui préservait l'intégrité corporelle et sexuelle des filles, a poussé loin ses études, est devenue ministre et a toujours refusé de se taire pour dire ce qu'elle pense haut et fort.

Lorraine Koonce est littéralement tombée de sa chaise, le jour où elle a découvert ce que recouvrait cet acronyme de MGF (GMF en anglais) pour mutilations génitales féminines. Elle terminait ses études de droit à l'Université de New York, et attendait une amie à l'entrée de la bibliothèque universitaire. Pour patienter, elle feuilletait un magazine. Cette lecture changea le cours des choses : " Il s'agissait de l'hebdomadaire The Economist, et dedans il y avait un article sur les mutilations génitales féminines. Je l'ai lu par curiosité et j'ai été horrifiée. Cela a changé complètement ma vie. Auparavant, j'étais intéressée par le droit international, celui des affaires, et après cette lecture je me suis concentrée sur les droits humains, et en particulier sur les MGF."

Constance Yaï a dédié son dernier livre, un pamphlet virulent contre les traditions, utilisées pour ne rien changer, ne rien améliorer, à son père. "A Kplao Yai Victor, trop vite parti. J'aurais essayé de marcher dans tes pas ! Toi qui depuis toujours a pris fait et cause pour tes filles ! Scolarisées ? Oui ! Mariées ? le plus tard possible. Mais aucune ne le sera avant le bac ! Excisées ? Non ! Merci père, que ton âme repose en paix."

L'une et l'autre sont convaincues que si l'on doit convaincre, certes, par les mots, la loi est indispensable pour changer des pratiques anachroniques conservées au nom du culturel. Et en cette matière la France est pionnière. Sous l'impulsion des combats d'une autre avocate, Linda weil Curiel, les exciseuses et leurs complices, en particulier les mères, sont passibles de peines d'emprisonnement depuis que l'excision est interdite entre les frontières de l'hexagone. D'autres pays européens tels l'Allemagne aimeraient suivre cette voie. Tandis qu'au Royaume Uni les personnels de santé demandent qu'on légifère.

Lorraine Koonce, qui se dit dans la droite ligne de Linda Weil Curiel, organise des conférences à Paris,la dernière en novembre 2014 à l’American Graduate School in Paris. Constance Yaï parcourt le monde, son dernier livre en poche. Elles se sont toutes les deux confiées à Terriennes.

Informer, prévenir mais aussi punir : la voix forte de Constance Yaï au service des femmes

Lorraine Koonce : "aux Etats-Unis aussi nous sommes confrontés aux mutilations génitales féminines"

Comment avez vous été amenée à vous occuper des violences faites aux femmes ?

Pour moi c'est devenu une mission personnelle autant que professionnelle, mais depuis moins de dix ans quand on a commencé à parler des mutilations génitales féminines MGF. Je suis tombée sur ce sujet après avoir terminé mes études de droit, voilà six ans. Par accident. Et ma première réaction a été de pure horreur. Je me trouvais dans la bibliothèque de mon école et j'attendais une amie. Alors j'ai pris un magazine pour patienter, c'était The Economist, et dedans il y avait un article sur les mutilations génitales féminines. Je l'ai lu par curiosité et j'ai été horrifiée.

Cela a changé complètement ma vie. Auparavant, j'étais intéressée par le droit international, celui des affaires, et après cette lecture je me suis concentrée sur les droits humains, et en particulier sur les MGF.

Quels ont été vos actions avant la conférence du 28 novembre à la American graduate school of Paris ?

On m'avait demandé d'intervenir lors de rencontres précédentes. Et quand j'ai parlé à la présidente de l'école, ici à Paris, Dr. Eileen Servidio, elle a tout de suite été d'accord et donc on a organisé cette conférence. C'était la première du genre où on parlait des MGF, de ces femmes qui meurent en silence, du viol, des violences domestiques, tous les thèmes qui touchent aux violences faites aux femmes.

Mais aux Etats-Unis, êtes vous confrontées réellement à la question des MGF ?

De fait, beaucoup d'Africains émigrent aux Etat-Unis, comme en Europe et donc oui nous sommes confrontés à ce problème. Ces MGF sont pratiquées chez nous, mais elles sont cachées, clandestines. En France, cela a été révélé parce qu'il y a sur son sol une très importante communauté africaine francophone. La France a été le premier pays à criminaliser ces pratiques. A dire non, non et encore non.

Vous pensez que la pénalisation est le bon moyen pour les enrayer ?

Je pense que ce message, en fin de compte, doit être envoyé. Parce qu'il s'agit d'enfant qui sont mutilé, blessé et qui parfois meurent de ces pratiques. Je pense que cela doit être combiné à la prévention, au soutien, mais ce message que la France et d'autres pays ne tolèrent pas ces mutilations doit absolument être envoyé. Que la culture ne peut être une excuse.

Vous incitez beaucoup sur la culture, les coutumes, les traditions, la religion, mais les violences contre les femmes n'épargnent aucun pays, aucune société, aucune classe sociale. Est ce que du coup cela ne stigmatise pas certaines populations ?

Les MGF sont pratiquées dans 28 pays africains, mais on peut les voir à l'oeuvre dans certaines parties de l'Asie, mais c'est d'abord l'Afrique qui est concernée. Il y aussi les crimes d'honneur perpétrés dans certaines régions musulmanes, lorsque les hommes d'une famille pensent qu'ils n'on pas d'autre choix pour laver un affront à leur honneur qu'en tuant la femme à l'origine de ce dit déshonneur. Les violences domestiques, elles, n'épargnent aucun pays. Donc oui certaines traditions perpétuent certaines violences, mais en même temps aucun pays, n'échappe aux violences contre les femmes, qu'elles soient très éduquées ou pas du tout. Mais on ne peut pas ne pas prendre en compte que dans certaines régions, traversées par certaines cultures, sont soumises à une violence contre les femmes plus grande qu'ailleurs.

Mais en France, une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de leur conjoint…

Les violences domestiques affectent chacune, chaque classe sociale, ce n'est effectivement pas l'apanage de groupes spécifiques. C'est sans doute pour cela que le silence entoure ces crimes. Les violences domestiques rendent les femmes honteuses d'elles-mêmes, c'est une autre sorte de violence.

Comment agit-on avec pertinence contre toutes ces violences ?

Par une combinaison de plusieurs choses : des groupes de soutien aux femmes violentées, des systèmes de prévention, et surtout briser le silence qui entoure ces faits. Si nous pouvons en parler librement, ouvertement, ce sera alors le début d'un changement profond. Par exemple en Inde, il y a eu ces viols collectifs depuis deux ans qui ont été très médiatisés. Et on a commencé à en parler à voix haute. Du coup aujourd'hui, il y a un programme qui a été mis en place pour lutter contre ce fléau. Mais c'est un processus malheureusement très lent.

La chose essentielle n'est-elle pas d'impliquer les hommes dans ce combat, comme l'actrice Emma Watson l’a dit à la tribune des Nations Unies?

Les hommes doivent être absolument parties prenantes dans le processus, comme le montre la campagne de l'ONU "He for She", si l'on veut changer les choses. Les hommes sont des agents actifs de ces changements à venir. Comment peut-on parler des violences faites aux femmes si l'on ne parle pas des hommes ? Les hommes sont concernés et ils doivent être intégrés à ces processus. Regardez Nazir Afzal, Procureur Général au Ministère Public du Royaume Uni (Crown Prosecution Service), il est l'un des plus farouches combattants contre les violences faites aux femmes. De plus en plus d'hommes s'engagent parce qu'on ne peut séparer les hommes des femmes dans cette lutte là.

Mais comment lutter contre les violences des hommes sur les femmes, si ces hommes là vivent dans des sociétés ultra violentes, voire même en situation de guerre ?

Bien sûr, beaucoup constatent que ces hommes violents vivent dans des sociétés violentes, où cette violence est acceptée, où on la voit partout, à la télévision, à la radio. Nous avons besoin d'un très grand changement au sein de nos représentations de la violence.

Si l'on parle des traditions, et de traditions qui impliquent de la violence contre elles-mêmes, il faut bien dire que souvent les femmes sont elles-mêmes les plus farouches conservatrices de ces coutumes… Que faire ?

Les MGF sont effectivement pratiquées par des femmes sur des femmes, pas par des hommes. Et donc effectivement, si l'on veut changer les choses il fait commencer par celles qui les perpétuent. J'ai rencontrée une ancienne exciseuse qui maintenant sait que c'était mal d'opérer ces mutilations. Et donc il faut changer les mentalités, arriver à ce qu'elles changent d'elles-mêmes.

Et la prostitution, fait-elle partie de ces violences faites aux femmes ?

La Suède a choisi de qualifier la prostitution de violence faite aux femmes. En ce qui me concerne, j'ai beaucoup de mal à imaginer que l'on se prostitue de façon volontaire, que c'est un choix. Je pense que ce sont les circonstance qui obligent à se prostituer. Et au sein du secteur de la prostitution, les violences sont très présentes, à commencer par ce moment de violence symbolique quand les clients doivent donner l'argent. C'est peut être un choix, mais un choix forcé.

Où doit-on se concentrer pour faire bouger les choses ? Sur la sexualité, le travail, l'éducation ?

Sur tout cela ! Il n'y a pas une seule réponse : il faut de l'éducation des groupes de soutien. Par exemple en cas de violence conjugale, c'est trop facile de dire à la victime "il faut t'en aller". Partir, mais où ? Et qui va vous aider ensuite ? Et en fin de compte, il faut des lois.

Y a-t-il des endroits où les choses ont changé de façon efficace ?

Et bien on peut dire que doucement mais sûrement partout les MGF diminuent. Il y a de nouvelles générations en Afrique qui se dressent contre ces pratiques, aussi parce qu'elles y ont elles-mêmes échappé. Et il y a de plus en plus de lois pour lutter contre les violences domestiques. Il y tout de même de vrais signes de changement. Sont-ils importants ? Non, mais c'est toujours ça…

Et vous même comment faites vous ?

Je parcours les conférences, j'interviens, je porte la parole, le message, autant que je peux sur les mutilations génitales féminines. J'ai déjà un agenda très rempli pour les mois à venir, en particulier février et mars. Et ce n'est pas un sujet facile...

Source : TV5monde