Claudia Tagbo : ``D’abord je suis une femme, puis une comédienne et après je suis noire``

Claudia Tagbo est à l’affiche de la comédie C’est quoi cette mamie?!. L'occasion de revenir sur son parcours et la situation des comédiens noirs dans le cinéma français, un an après le livre d'Aïssa Maïga Noire n’est pas mon métier.

Au cinéma, comme sur scène, Claudia Tagbo déploie le même tourbillon d’énergie. À chaque fois, elle semble déjouer les clichés qui collent aux actrices noires dans le cinéma français. À l’affiche de la comédie C’est quoi cette mamie?!, suite du carton C’est quoi cette famille?!, l’humoriste a retrouvé avec plaisir son personnage de Babette, une avocate, et le reste du casting (Julie Depardieu, Chantal Ladesou, Julie Gayet, Philippe Katerine…) le temps d’un tournage où dominaient le rire et l’improvisation.

A l’exception de Qu’est-ce qu’on a encore fait au Bon Dieu?, Il a déjà tes yeux (avec Lucien Jean-Baptiste), Premier de la classe (avec Pascal NZonzi) et C’est quoi cette mamie?!, rares sont les comédies populaires françaises à mettre en scène des familles noires. "Ce n’est pas de mon fait", déplore la comédienne. "C’est l’imaginaire de ceux qui écrivent ou produisent. Peut-être qu’il n’y en a pas beaucoup [dans les films], mais moi en tout cas je sais que j’ai toute une liste de comédiens noirs qui ne demandent qu’à travailler. Ça ne vient pas de nous." Elle poursuit:

"Je ne sais pas de qui ça vient. Je pense que ça vient de l’absence d’imagination… Je ne sais pas. Je me pose la question. Un comédien, peu importe sa couleur de peau, est là pour raconter une histoire. Qu’il soit noir, bleu, vert ou rouge, il va la raconter. Si l’histoire est bien, le film sera bien. Si elle est pourrie, il sera pourri. Et voilà. Oui, je suis assez étonnée, mais il ne faut pas poser la question aux comédiens. Il faut la poser aux réalisateurs, aux producteurs et aux scénaristes."

"Je dois m’écrire des rôles pour pouvoir travailler?"

Pourrait-elle s'écrire un film pour avoir un premier rôle au cinéma? "On fait tous ce métier pour avoir la possibilité de jouer. Si ça ne vient pas… J’ai la chance de pouvoir écrire mes spectacles, mais parce que j’aime bien manger, je dois forcément ouvrir un restaurant? J’ai l’impression qu’on en arrive tous là. Je suis comédienne, donc je dois m’écrire des rôles pour pouvoir travailler? J’ai envie de raconter une histoire. Quand je sors de chez moi, je vois des Maghrébins, des Africains et ce n’est pas ce que [le cinéma français] me vend en premier."

Claudia Tagbo évoque alors Roschdy Zem, un des rares acteurs français d’origine marocaine à pouvoir jouer aussi bien des Ali que des Vincent et des Christophe: "Roschdy Zem raconte une histoire, point barre." Claudia Tagbo elle aussi a obtenu ce statut. Elle a joué des ministres, des avocates… "Oui, j’ai réussi. Par mes contacts ou parce que je fais des castings, parce que les réalisateurs me visualisent plus. Mais je ne parle pas que de moi, mais de plein d’autres qui sont derrière. Il faut continuer." Récemment, elle a incarné une proviseure dans La Lutte des classes.

Le livre d’Aïssa Maïga, Noire n’est pas mon métier, a fait grand bruit l’année dernière. A-t-il fait bouger les lignes du cinéma français? Les producteurs français ont-ils agi? "On va le voir dans le futur", indique l’humoriste, qui n’a pas participé au livre. "Ça s’est passé l’année dernière. C’est bien, le livre est là. Mais est-ce qu’on avait besoin de ce livre-là pour les [alerter sur cette situation]’. Ils ne peuvent pas [le faire] d’eux-mêmes? C’est dommage."

L’humoriste lance donc un appel aux scénaristes du cinéma français: "Inventez! Je suis là… J’ai envie de tout faire. Je ne me bride pas." Au-delà du rôle, le plus important reste pour elle l’histoire: "Je ne me lève pas en me disant que je suis une femme noire. Le noir, ça fait longtemps que c’est acquis. Je ne me bagarre pas avec ça. Je suis une femme d’abord, puis une comédienne et après je suis noire. Je ne mets pas les trucs à l’envers. Quand on me propose quelque chose, c’est bien si ce n’est pas écrit Alimatou ou Bentou. Mais mon problème, c’est avant tout ce qu’il raconte."

"Le Bon Dieu a heurté les gens dans leur sensibilité"

Claudia Tagbo choisit aussi ses films en fonction de ce qu’ils peuvent apporter aux gens. Dans Qu’est-ce qu’on a fait encore au Bon Dieu?, elle incarne l’épouse de Viviane, dont le père André Koffi (Pascal N’Zonzi) n’approuve pas l’orientation sexuelle. "J’ai accepté le rôle parce que c’est drôle”, dit-elle. "Si certains dans ma communauté sont réfractaires [à l’homosexualité], j’aime bien pouvoir les titiller. Nous, les acteurs et les actrices, nous servons aussi à titiller les gens, à leur dire ce qui se passe, à leur dire que cela peut aussi se produire dans la communauté dite africaine."

Les polémiques suscitées par le premier volet du Bon Dieu ne l’ont pas fait fuir. Au contraire: "Il a fait polémique parce que les gens ont été heurtés dans leur sensibilité. Quand on fait quelque chose, est-ce qu’on doit réfléchir aux polémiques? Il faut faire." Claudia Tagbo aime les comédies satiriques - un genre qu’elle n’a pas eu beaucoup l’occasion de pratiquer en France, hormis une apparition dans Le Crocodile du Botswanga avec Fabrice Éboué et Thomas N'Gijol.

Dans ce genre, elle cite deux films récents - auxquels elle n’a pas participé. Elle loue ainsi Black Snake de Thomas N'Gijol, l’histoire du premier super-héros noir, sorti en février dernier, sans rencontrer le succès: "C’est un film qui mériterait d’être revu. Il faut acheter le DVD et le garder. Ça n’a pas pris [avec le public], mais c’est un film qui a une vraie identité. Les gens s’en rendront compte plus tard.

Un autre film important pour elle est Il a déjà tes yeux, une comédie de et avec Lucien Jean-Baptiste où une famille noire adopte un enfant blanc. Carton au cinéma et à la télévision, le film est décliné en série sur France 2 avec le même casting. Une grande victoire estime la comédienne: "C’est bien aussi de rentrer dans les maisons."