Nsimba Valène Lontanga va changer votre vision de la mode africaine

Créatrice d'une marque de vêtements et d'une plateforme en ligne qui regroupe différents talents africains, Nsimba Valène Lontanga fait partie de cette nouvelle génération d'entrepreneurs qui ont beaucoup à nous apprendre sur la mode africaine.

Nous sommes fin août et Nsimba Valene Lontanga est à Accra, la capitale du Ghana. Cela faisait plusieurs mois que j’avais envie de lui poser des questions, premièrement parce que je voulais en savoir plus sur Libaya, sa marque de vêtements mais aussi parce qu’elle a lancé The Fofa [The Future of Fashion in Africa], une plateforme qui répertorie les créatifs panafricains pour prouver, contrairement à ce que disent les professionnels de l’industrie mode, que non seulement ils existent, mais qu'en plus ils sont compétents et faciles à trouver.

La mode africaine sous le feu des projecteurs

La mode africaine attire de nombreux regards ces dernières années que ce soit pour la qualité de ses artisans qui réalise aujourd’hui un travail d’orfèvre pour des marques comme Vivienne Westwood ou Stella McCartney, autant que pour ses jeunes designers d'Adebayo Oke-Lawal et sa marque Orange Culture à Sarah Diouf de Tongoro Studio en passant par le designer marocain Amine Bendriouich. Un intérêt pour la mode du continent qui se reflète via l’intérêt que la mode occidentale porte aux questions de diversité. 

Quelques temps après mon interview avec Nsimba Valene Lontanga, The Cut, supplément du New-York mag a publié“Pourquoi n’y a-t-il pas plus de designers noirs ?”, une enquête qui laisse la parole à des photographes, stylistes, journalistes, assistants, mannequins, artistes, noir-américains et sur la manière sur la manière dont ils sont perçus et traités dans l’industrie. Mais si cette question permet à beaucoup d’enfin pouvoir s’exprimer, elle alimente malgré tout un certain fantasme du créatif noir comme “autre” et surtout d’une “mode noire” et quelque part “politique”.

La plupart des gens ont une vision très étroite de la mode africaine.

Si on peut l’estimer jeune,  du haut de ses 27 ans Nsimba Valene Lontanga a dû se poser ces questions très tôt. Nés de parents d'origine congolaise et installés en Hollande, elle passe une enfance créative où on la laisse expérimenter, faire preuve de curiosité et où on la nourrit d’histoires venues  de ce continent qu’elle ne connaît pas encore. “J'ai grandi dans un milieu très blanc et nous étions la seule famille noire dans mon quartier. Très tôt, j'ai voulu représenter ce que je n’avais pas autour de moi, j'ai commencé à peindre des paysages africains et des femmes africaines à partir des histoires que mes parents me racontaient. C'est devenu ma première source d'inspiration. Puis, est venue la mode. Ma mère est aussi tailleur et j'étais sensible à la manière dont elle s’habillait, les imprimés qu'elle utilisait et à la manière dont elle créait son style ”.

Une appétence qui l’oriente vers des études sur les liens entre les continents africain et européen. Et c’est chez Vlisco - entreprise spécialisée dans la wax hollandaise qu’elle trouve son premier job. À cette époque, son travail consiste à aider les entreprises africaines et européennes à avoir une vision du consommateur africain. “J’ai arrêté de travailler pour eux en 2017, j’ai continué un peu en freelance et puis je ne me suis plus retrouvée dans les choix qu’ils faisaient. Il y a, pour moi, une manière par laquelle les gens peuvent se sentir inspirés par le continent africain. J’ai donc décidé de lancer ma propre marque”, nous explique-t-elle par téléphone. 

La mode africaine ne se limite pas à la wax

C’est ainsi qu’est née Libaya, une marque en ligne sur laquelle elle travaille depuis 2016. Timide, elle finit par dire, lorsque les gens lui demandent où elle achète ses vêtements, que c’est elle qui les fait confectionner en Afrique. “La plupart des gens ont une vision très étroite de la mode africaine, c’est la raison pour laquelle j’ai toujours eu beaucoup de mal à lire des articles à ce sujet ou regarder le travail de marques qui font des collections inspirées de l'Afrique”, commence-t-elle à nous dire. 

Avant de conclure : “Ma mode est influencée par ma mère et mes tantes. Leur façon de s’habiller et de traiter la mode a une élégance que je n’ai pas trouvé dans la mode. J'ai commencé à vouloir des vêtements qui défient la vision qu’on a de la mode africaine et pourraient être portés hors du continent. Travailler sur les silhouettes et pas forcément les imprimés. Il y a des histoires, des silhouettes qui peuvent aussi inspirer une marque et s’intégrer dans un vestiaire du quotidien”.

Une marque pour toutes les femmes

Sa réflexion n’est pas sans challenger notre propre vision de la mode africaine qui se limite bien trop souvent à la wax. En témoigne le défilé polémique réalisé par Stella McCartney pour le printemps-été 2018 où défilait des femmes blanches dans des pagnes en wax. Pour Nsimba Valene Lontanga, il faut éduquer les gens sur ce qu’est la mode africaine. “Libaya, ma marque, a vraiment été crée dans le but de lutter contre cette perspective restreinte. C’est stéréotypé et surtout, certaines pièces seraient en Afrique portées pour de grandes occasions et non pas pour le quotidien. Je veux voir des pièces du quotidien et pas seulement des pièces vues comme estivales. Il y a des marques qui font du bon travail, mais les histoires ne me touchent pas. Je veux une histoire, pas seulement pour les femmes noires, mais qui soit inspiré par elles et invitent les autres à vouloir en faire partie”. 

Libaya : Rappeler l’existence d’un style africain

Promouvoir une féminité africaine est donc au cœur de la griffe lancée par Nsimba Valene Lontanga. Une vision qui se ressent dans le nom même de la marque : Libaya, un terme lingala (dialecte congolais) qui signifie “top fait sur-mesure”. Nsimba Valene Lontanga : “ Quand je pense à la mode, j’imagine un haut. C’est le début d’une tenue pour moi. Je revois ma mère prendre le temps de fabriquer les siens. J’ai donc voulu traduire cette manière traditionnelle de s’habiller en quelque chose de plus ordinaire. Lorsque vous avez le haut parfait, il n’y a pas beaucoup à ajouter pour obtenir un beau look. Je fais aussi des robes qui laissent voir les épaules, avec des volants. Je pense aussi ajouter des jupes, mais pas de jeans ou de ne pantalons. Ils n’appartiennent pas à mon histoire ”.

''Je voulais montrer l’avenir de la mode africaine. L’impact que ces professionnels ont sur l’industrie. Ils sont aussi l’avenir de la mode. ''
En se rendant sur le site, on réalise très vite que les robes et tops qui y sont vendus laissent tous les épaules découvertes. Une coupe qui met en valeur le cou et force à un port de tête royal. Au Congo, on parle de style buka mapeka. “Cela signifie ‘épaule dénudée’. J’y fais souvent référence quand je parle de ma marque parce que dans l’imaginaire sociale, c’est un style forcément occidental. Or, il fait partie de la culture congolaise depuis des siècles. Je voulais que les gens sachent qu’il fait parti du paysage africain, ce n’est pas une tendance nouvelle. Il n’y a pas de libaya qui ne soit pas buka mapeka, c’est là que tout a commencé”. 

L’importance du made in Africa

Cette revendication d’un style congolais ne pouvait être assortie que d’une fabrication faite sur le continent. Après avoir passé des années à être en contact avec des distributeurs et fournisseurs africains, il était indispensable pour la créatrice de fabriquer en Afrique. Elle a donc choisi Accra, capitale du Ghana où elle avait déjà un réseau fourni de créatifs. “Un de mes rêves est de produire une petite partie des collections au Congo, mais la production va voyager. Ma marque est internationale, je peux envoyer de partout”, glisse-t-elle dans la conversation. 

Un des points forts de Libaya, c’est aussi l’accessibilité des prix. Un point qui était très important pour Nsimba Valene Lontanga comme elle nous l’explique : “La mode made in Africa est chère en général, mais il était important pour moi de créer des choses que les femmes qui me ressemblent puissent acheter. Montrer que soutenir la mode en Afrique ne requiert pas toujours de faire un grand pas”. 

The Fofa : les talents africains existent

Mais se contenter de mettre en avant son propre travail ne correspond pas à la personnalité de Nsimba Valene Lontanga. De son premier job de chasseuse de tendances, elle a gardé cette envie de valoriser le travail des autres. C’est ce qui l’a poussé à lancer The Fofa. Elle explique : “Je voulais montrer l’avenir de la mode africaine. L’impact que ces professionnels ont sur l’industrie. Ils sont aussi l’avenir de la mode. Mon objectif est d’avoir les personnalités les plus influentes et les plus inspirantes de la mode africaine et qui soient capables de rivaliser au niveau international”. 

“Je ne peux pas trouver un bon photographe ou mannequin africain”, c’est le genre d’excuse qu’a souvent invoqué l’industrie de la mode pour expliquer son manque de diversité. Mais l’émergence de talents panafricains et l’attrait du public vers une vision plus moderne de l’Afrique aguiche la mode. “Je veux que ces histoires soient racontées par nous. Quand je lis un magazine sur la mode concernant l’ascension africaine, je veux qu'on ait conscience que des journalistes africains sont capables de l’écrire. Les Africains doivent être plus impliqués. Ce sont nos histoires.”, s’exclame Nsimba Valene Lontanga. Avant de conclure : “Je suis parfois heureuse d’être une représentante de la femme africaine, mais en même temps, je veux que nous soyons célébrées en tant qu’individus à part entière. Notre pluralité est au cœur de l’histoire africaine et elle mérite d’être célébré”.