Viol : pourquoi au Cameroun, les femmes signalent rarement les agressions sexuelles contre elles ?

''Imaginez à six ans, on vous introduit des choses dans le vagin, c'était tellement douloureux que je n'ai pas envie d'y repenser parce que sinon je vais pleurer''

Entre la petite enfance et l'adolescence, Anissa (nom d'emprunt) sera victime de multiples viols.
La première fois a lieu lorsqu'elle n'a que 6 ans.
Une parente proche la viole régulièrement pendant des mois et la menace de la tuer si elle ose parler.

La petite fille terrorisée se tait.

Mais elle se referme petit à petit sur elle-même et devient agressive.
''Les répercussions sont terribles ,j'ai gardé ce traumatisme-là, je n'ai jamais guéri, j'espère guérir un jour''
Elle est victime d'un second viol à l'âge de 18 ans, perpétré par un des organisateurs d'un concours de beauté auquel la jeune fille prend part.
Ces souvenirs douloureux, la jeune trentenaire les évoque difficilement encore aujourd'hui, même si elle a décidé de briser le silence pour ''sensibiliser'' les autres sur ce fléau.
Anissa a trouvé le courage aujourd'hui de se raconter, quitte à endurer d'autres types de violences, si cela peut aider ses compatriotes à prendre conscience de l'ampleur des viols sur les femmes dans le pays et des ravages qu'ils font.
A ce jour, cette jeune camerounaise n'a jamais obtenu justice pour tous les crimes commis à son encontre.
Elle n'a même jamais porté plainte.
''J'avais peur que mon père le sache, j'avais peur. Déjà dans ma famille, on disait que je faisais des choses de prostituées en participant à des concours de beauté. Ils auraient dit que je l'avais bien cherché donc je n'ai rien dit''.

La loi de l'omerta

''Le silence est l'unique refuge des victimes de viols au Cameroun ; il y'a une telle négation de la parole des victimes !''.
C'est l'écrivain Félix Mbetbo, auteur du controversé '' Coupez leur le zizi'' qui le dit.
œuvre est un recueil de témoignages de survivantes de viol.
La loi du silence, c'est ce que dénoncent les acteurs qui évoluent dans la lutte contre le phénomène dans le pays, qu'ils soient juristes, activistes, ou même victimes.
De fait, lorsqu'elle trouve le courage de partager son histoire sur les réseaux sociaux pour sensibiliser sur les agressions sexuelles, Anissa est assaillie de reproches et de blâmes, la plupart venant de sa famille élargie et de ses amis et connaissances.
''J'ai reçu plus de reproches que de soutien. A part ma mère et mes frères qui m'ont soutenue, je n'ai récolté que reproches''.
L'activiste féministe Minou Chrys-Tayl initie régulièrement des campagnes sur les réseaux sociaux pour inciter les victimes d'abus à rompre le silence.
Cette loi du silence est aussi un obstacle à la collection de données régulièrement mises à jour sur les agressions et violences sexuelles et sur le profil des victimes.
Sur une publication du bureau pays du FNUAP au Cameroun, en date du 25 janvier 2016, on peut lire ceci : "Au Cameroun, 55% de femmes déclarent avoir été victimes de violence physique depuis l'âge de 15 ans. Plus d'un tiers des femmes ont vécu des cas de viol ou d'agression sexuelle dans leur vie."

''La culture du viol atteint son paroxysme au Cameroun''

Certaines victimes racontent qu'elles essuient des insultes lorsqu'elles se rendent au poste de police pour porter plainte confie Minou Chrys-Tayl.
Pour l'activiste, les hommes et les femmes vont d'abord dénigrer la victime surtout si ''elle a une tenue jugée inadéquate, surtout si elle a des formes qu'ils jugent provocantes . c'est-à-dire on ne prend pas en compte la réalité des faits. On va aller plutôt sur toute la culture du viol qu'il y a autour.''

''On va demander si tu ne veux pas gâcher la vie du monsieur s'il est marié et il a des enfants. On va tellement te harceler que tu aura très peur de continuer la procédure'' remarque t-elle

"Nous vivions dans une société dans laquelle la culture du viol est la mieux partagée" fait valoir Félix Mbetbo.
Ce qu'il entend par culture du viol ''c'est l'ensemble des idées reçues selon lesquelles le viol n'existerait même pas''.
Toutes choses qui nourrissent le gouffre de silence dans lequel sont noyées les survivantes.
Anissa se désole qu'en plus de son traumatisme, elle doit porter le poids d'une culpabilité que le société fait peser sur elle.

''Si c'est arrivé, c'est d'une façon ou d'une autre ta faute. Cela ne fait que renfermer les victimes dans un silence si profond qu'elles se détruisent à petit feu..Moi, si je n'avais reçu de l'aide, je ne sais pas si je serai encore là ; avec ce silence qui m'étouffait, avec cette douleur qui me rongeait''

''Sexisme ambiant''

Cette omerta autour du viol et cette négation de la parole des victimes trouvent aussi en partie une explication dans les us et coutumes.
Beaucoup de familles ont honte de parler du viol car elles estiment que cela les souille. La question de l'arrangement à l'amiable, selon Minou Chrys-Tayl, est quelque part attachée aux traditions : ''Tout comme la violence''.
Elle précise que la famille en tant qu' institution est si importante qu'on la protège envers et contre tout, ''même si pour cela il faut à un moment donné sacrifier la santé mentale et physique de l'enfant. Il y a une grosse culture du blâme des victimes ici .''

L'écrivain Félix Mbetbo attribue la stigmatisation des survivantes au sexisme ambiant et à la banalisation des violences sur les femmes. ''J'ai connu une fille, elle était violée depuis des années par un pasteur et qui a trouvé le courage d'aller dans un centre œcuménique pour dénoncer son violeur. Là-bas elle a encore été violée. On est dans un cercle vicieux dont les victimes ont connaissance, du coup elles n' osent même plus parler'' note l'écrivain.

La commissaire Cécile Mandeng de la cellule de communication de la direction générale à la sécurité nationale du Cameroun rappelle toutefois que ''les dénonciations doivent être soutenues par des indices, un certificat médical, des témoignages, etc.
Le sexisme ordinaire, Anissa en fait les frais au quotidien. ''Au bureau mes collègues discutaient d'une affaire de viol très médiatisée au Cameroun et je me suis sentie agressée quand ils ont dit que ce sont les filles qui cherchent à se faire violer'' se souvient elle.…suite de l'article sur BBC