Lagos est-elle la New York de l`Afrique?

Les Nigérians aiment à présenter leur pays comme les Etats-Unis de l'Afrique. En toute logique, ils considèrent aussi Lagos comme la « New York » du continent. Un titre à relativiser.

Lagos compte 22 millions d'habitants. Son PIB équivaut à celui du Cameroun, du Sénégal et de la Côte d'Ivoire réunis. Si Lagos était un Etat indépendant, elle posséderait le sixième PIB du continent.

Tout comme la « Grande pomme », Lagos est tournée vers le grand large. Elle borde l'océan Atlantique. Apapa, son port, le plus important du Nigeria, constitue un élément essentiel de sa richesse. Ses deux quartiers phares, Ikoyi et Victoria Island, sont des terres gagnées sur l'océan et les marécages. Pour protéger Victoria Island des assauts de l'océan, un barrage de quatre kilomètres a été construit ces dernières années. Il a coûté plusieurs milliards de dollars. Ces deux îles possèdent la plus grande concentration de milliardaires du continent : à commencer par Aliko Dangote, l'homme le plus riche d'Afrique. Son jet est ancré dans la lagune séparant Victoria Island d'Ikoyi.

Tout comme « New York », Lagos est considérée, au Nigeria, comme la terre de toutes les opportunités : chaque jour, des milliers d'habitants des autres régions viennent s'y installer en quête d'un avenir meilleur. Même des réfugiés qui fuient le Nord trouvent refuge à Lagos. Ils s'installent dans des camps de fortune et doivent payer pour poser leur tente, sur un terrain vague.

Lagos est une ville debout

« Comme à New York, l'argent est sacré. Tous les moyens sont bons pour s'enrichir. Même arnaquer les nouveaux venus », estime Ade Falana, un homme d'affaires de Lagos.

Tout comme New York, Lagos est une ville debout. Ses gratte-ciel sont des odes à l'argent et à la puissance qu'il procure. Ils ont vu le jour lors du boom pétrolier, tout comme le Third Mainland Bridge, le plus long pont d'Afrique (13 km) : il relie le continent aux îles.

Lagos est une cité de béton. Héritage de la colonisation britannique, les parcs ont disparu depuis belle lurette sous des tonnes d'acier et de béton armé. Lagos ressemble très peu à l'autre grande ville yorouba, Ibadan. Peuplée de dix millions d'habitants, Ibadan est une « ville couchée ». Presque dépourvue d'immeubles, les chèvres et les moutons s'y baladent en plein centre-ville. Ibadan et ses dix millions d'habitants sont souvent présentés comme le plus « grand village » d'Afrique.

Le gouverneur de Lagos fait tout pour accréditer l'idée que Lagos serait la « New York de l'Afrique ». Il organise un marathon sur le modèle de celui de Big Apple. Le fait que CNN ait couvert cette épreuve et présenté Lagos comme l'un des nouveaux hauts lieux de la course à pied est un sujet de fierté pour les autorités locales.

Les petits commerçants indignes de Lagos

Afin de transformer la ville, le gouverneur de l'Etat, Akin Ambodé a également décidé de faire déguerpir les petits commerçants des rues et les tenanciers des gargotes qui faisaient la cuisine en pleine rue. Il considère que ces activités sont indignes de Lagos et de sa modernité proclamée.

Malgré ces discours à l'intention de la communauté internationale, Lagos reste parfois très traditionnelle dans sa communication et dans sa façon de régler les problèmes. Ainsi, lors de la dernière élection du gouverneur en avril 2015, tout a été fait pour dissuader les Igbos (ethnie majoritaire dans le sud-est) de participer au scrutin. Quelques jours avant le vote, le roi des Yoroubas (ethnie qui domine le sud-ouest) a réuni les représentants des Igbos. Il leur a expliqué devant des micros que s'ils ne votaient pas pour le candidat choisi par les Yoroubas, ils seraient jetés dans la lagune et noyés. Un discours clair qui a abouti au résultat escompté : le jour de l'élection, nombre d'Igbos ne se sont pas rendus aux bureaux de vote. « Nos noms indiquent que nous sommes Igbos. Comme les Yoroubas savaient que nous allions voter pour l'autre candidat, cela aurait été très risqué de se présenter aux bureaux de vote. Nous avons préféré quitter la ville », avoue Amaka, une commerçante igbo.


Dans cette mégapole, la compétition entre les ethnies est féroce. Loin de critiquer l'attitude du roi des Yoroubas, nombre de partisans du gouverneur s'en félicitent. « Il a bien fait. C'est grâce à ce discours que nous avons gagné l'élection. Il fallait rappeler que la ville nous appartient », souligne Akin Yekini, un haut fonctionnaire de Lagos. Cette mégapole est donc une terre d'opportunité, mais beaucoup plus pour certains que pour d'autres... New York est-elle si différente ?

Chaussées défoncées et trottoirs quasi inexistants

Là où la comparaison est sans doute beaucoup moins convaincante, c'est en matière d'infrastructures. Saisie par la « Lagosmania », une partie de la presse occidentale ne tarit plus d'éloges à propos de Lagos et de ses quartiers ultra-chics de Victoria Island et d'Ikoyi. L'intérieur de certaines demeures est en effet somptueux, dans le style néo-renaissance : les colonnes doriques ont droit de cité sur la lagune. Les milliardaires disposent de logements où ils peuvent s'épanouir tout à loisir. Mais même sur les îles où ils ont trouvé refuge, les squats et les habitations insalubres sont légion.

Les chaussées sont défoncées et les trottoirs quasi inexistants. La marche dans les rues d'Ikoyi relève de l'exploit sportif : il faut rester vigilant à chaque instant pour ne pas tomber dans les « gutters », les égouts à ciel ouvert qui festonnent les « beaux quartiers ».

La plupart des nouveaux venus s'étonnent ouvertement : « C'est ça, le " New York de l'Afrique ". Ils sont doués en communication ! », s'exclame Jean, un homme d'affaires ivoirien lors de son premier séjour à Lagos.

Lagos attend toujours l'électricité

Autre différence notable avec la mégalopole américaine, Lagos est très peu approvisionnée en électricité. L'essentiel est produit par les groupes électrogènes. Compte tenu de son coût élevé, nombre de quartiers s'enfoncent dans l'obscurité à la nuit tombée. Lagos peut difficilement se targuer du titre de ville qui ne dort jamais. Ou alors quand elle ne dort pas, elle doit s'éclairer à la bougie.

Les accidents de voitures se révèlent très souvent mortels, du fait de l'absence de système de collecte de sang digne de ce nom. « Dans les cliniques nigérianes, la seule chose qui ressemble aux Etats-Unis, c'est le montant des factures », souligne Mike Imasuen, un « returnee », un Nigérian revenu vivre au pays après un long séjour aux Etats-Unis.

Dès l'arrivée à l'aéroport de Lagos, le nouveau venu à qui l'on a vendu l'image de Lagos « New York de l'Afrique » se rend compte qu'il s'est fait mener en bateau. Même pour des vols internationaux, il n'est pas rare que les passagers restent bloqués sur le tarmac, parce que la porte de l'aéroport par laquelle ils doivent rentrer est fermée. Ils peuvent rester ainsi sur le tarmac pendant près d'une heure. Le temps de contacter par talkie-walkie l'homme qui a fermé la porte à clé et pris la clé des champs avec elle.

Un point commun : le « sens du marketing »

A l'aéroport, les initiés ne montent pas dans des taxis de peur de se faire kidnapper. Une équipe vient les exfiltrer de l'aéroport. Une grande partie des vols ne sont pas annoncés. Aucun moyen de savoir de quel côté vont sortir les passagers. Dès l'arrivée sur son sol, Lagos donne le sentiment d'être une ville complexe où un chaos savamment organisé permet de tirer parti des nouveaux venus qui ne connaissent pas le système.

« Lagos n'a pas grand-chose à voir avec New York. Ceux qui pensent le contraire n'ont jamais mis les pieds dans l'une de ces villes », souligne Aïsha Bello, une femme d'affaires qui vit entre les deux mégapoles. Elle ajoute : « Le seul vrai point commun entre ces deux cités, c'est un sens aigu du marketing. »

 

 

Source : Autre presse