Koyo Kouoh : ``Ce n’est pas à nous de déconstruire les préjugés euro-américains sur l’Afrique``

Commissaire de la Triennale de photographie de Hambourg, la Camerounaise dirige depuis 2019, au Cap, le Zeitz Mocaa, le plus grand musée d’art contemporain africain. Décolonisation des musées, restitutions, pandémie, elle a répondu à nos questions.

Née à Douala en 1967, Koyo Kouoh ne se réduit pas à un territoire. Polyglotte, nomade, adepte de la rencontre et de l’échange, elle officie comme commissaire d’exposition ou directrice artistique, aussi bien sur le continent (Biennale de Dakar, Rencontres de Bamako) qu’ailleurs dans le monde (Foire 1-54 à Londres, la Biennale d’Irlande-EVA International). À Dakar, elle a créé le centre culturel Raw Material Company et, depuis 2019, elle dirige le Musée Zeitz d’art contemporain d’Afrique (Zeitz Mocaa), au Cap. Rencontre à Hambourg, à l’occasion de la Triennale de photographie organisée dans la ville hanséatique allemande.

Pourquoi avez-vous choisi cette thématique plutôt économique, « Currency », pour la Triennale de photographie de Hambourg ?

Koyo Kouoh : Currency peut se traduire par « monnaie courante » : ce qui circule, est fréquent, normalisé et éventuellement devient une forme de référence. Au cours des trente dernières années, l’humanité a produit plus d’images que durant tous les siècles passés. Comme l’écrit la critique de cinéma française Nicole Brenez : « Avant, les images étaient dans le monde. Maintenant le monde est dans les images. » Les rôles ont été inversés quant à la place de l’image dans la société et dans nos relations. J’ai réfléchi sur la base de ces éléments avec les commissaires que j’ai invités à travailler avec moi. Nous sommes arrivés à l’idée que la photographie est un outil de transaction et de négociation, profondément lié au capitalisme et au système de domination – ce qui apparaît notamment dans l’immense corpus mondial de photos ethnographiques. Cela a un impact sur la manière dont nous voyons le monde et, surtout, sur la manière dont nous nous projetons dans le monde.

C’est-à-dire ?

L’image occupe aujourd’hui une place centrale dans nos vies. Au Congo ou en Papouasie, la plupart des gens possèdent un smartphone à même de photographier. Les millenials prennent parfois jusqu’à 200 photos d’eux-mêmes par jour. Il y a quelque chose d’atavique entre se voir et se projeter. J’essaie de comprendre comment les photographes et les professionnels de l’image vivent ce chamboulement. Quelle réponse la photographie propose-t-elle à cette évolution ?

Vous évoquez un système de domination…

Même si l’idée centrale de la Triennale tourne autour de ce tsunami d’images et de ce changement de rôle de la photographie dans le monde, il demeurait important d’aller contre le canon, contre le courant, et de revenir à une photographie qui prend position. Par exemple contre la représentation des territoires, souvent erronée dans les images mainstream. J’ai aussi voulu m’intéresser au rapport des photographes avec ce qu’ils photographient. Cela vient de l’intérieur. Nous ne sommes pas étrangers à ce que nous désirons représenter, mais parties intégrantes d’un sujet, d’un espace, d’un environnement : il s’agit de « faire communauté »... LIRE PLUS SUR jeuneafrique