Aby Diallo, une des premières femmes commissaires de police: «J`avais envie de faire en sorte que ce corps, une fois ouvert aux femmes, ne soit plus refermé»

Présidente de l’Association des juristes sénégalaises (Ajs), Aby Diallo, poursuit son combat pour la reconnaissance des droits des femmes. Un pari engagé alors qu’elle était dans la Police nationale. En fait, elle fut une des premières femmes à la tête de ce corps. Ses batailles d’aujourd’hui  prolongent ses combats d’hier. Entretien.
 
Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir intégrer la Police ?
 
Je ne suis pas entrée dans la police par vocation. Je voulais être magistrat. J’ai fait des études en Droit jusqu’à la maitrise. A l’époque, pour être magistrat on était admis sur titre après la Licence en Droit l’Ecole de magistrature (Enam). Mais en 1978-1979 on a commencé à instaurer un concours d’entrée. La première année, il n’y avait que dix places et cela n’a pas marché pour moi. Mais comme je suis fille de policier, ma famille m’a poussé à faire le concours de commissaire en 1980, quand une loi a réformé l’entrée dans les corps de comme la police pour l’étendre aux candidatures féminines. Dans un premier temps je voulais attendre encore. Mais comme j’avais l’encouragement de la famille, je me suis lancée. C’était assez sélectif, mais j’ai réussi.
 
Ce n’était pas votre vocation, mais elle vous a mené loin. Qu’est-ce qui explique cette réussite dans la Police ?
 
Encore une fois ce n’était pas mon premier choix de devenir commissaire de police. A l’époque, il n’y avait pas de femmes dans ce corps. Mais j’ai vite eu la pleine conscience que j’étais une pionnière dans un métier alors réservé aux hommes. J’étais consciente de ce que je devais faire. C’est-à-dire assumer une responsabilité historique, en pensant que l’avenir allait aussi dépendre de mes performances. Je suis entrée avec conviction à l’Ecole nationale de police (Enp) et elle ne m’a jamais quitté. Avec un encadrement et une formation adéquate, j’ai pu commander. J’avais envie d’assumer et de faire en sorte que ce corps, une fois qu’il est ouvert aux femmes, ne soit plus fermé.
 
Avez-vous bénéficié de privilèges dans votre formation ?
 
Je n’ai pas eu de privilège dans la formation.  Quand nous faisions le concours, nous étions deux femmes à être admises. Deux jeunes dames mariées et vivant avec leurs époux. A l’Enp, le régime de l’école était l’internat, la seule dérogation dont nous avons bénéficié c’est l’externat. Et cela veut dire que nous étions à l’école de 6 heures du matin jusqu’à 18 heures. A 6 heures, nous devrions être à l’école faire le sport comme tout le monde avant d’entrer en salle de cours. Je pense qu’on a la même formation et la même rigueur dans tout le circuit.
 
Avez-vous été victime d’un traitement discriminant à cause de votre féminité ?
 
Non. La police, c’est comme l’armée. C’est un corps hiérarchisé. C’est le grade qui prime dans les relations professionnelles. Personnellement, je n’ai pas subi de discrimination. J’ai eu le privilège d’entrer dans la plus haute hiérarchie, le corps de commissaire de police. Nous n’avons donc pas rampé. J’avais la maitrise de Droit avant de faire le concours et avec mes autres collègues qui étaient du même niveau on n’a pas trop souffert. Mais il faut savoir que dans le commandement on entre en tant que femmes, mais quand on commande on oublie qu’on est femme. C’est le commissaire  qui parle à ses hommes. On ne voyait que le grade et le commandement.
 
Qu’est-ce qui vous le plus marqué dans votre carrière ?
 
Je ne peux pas en parler en raison de l’obligation de réserve. Mais, il y a eu de situations extraordinaires comme les événements politiques de 1988 (Ndlr : contestations et troubles post-électoraux) et même en 1987 (Ndlr : grève dans la police et radiation de milliers d’agents). Ces événements me marquent jusqu’à présent. J’étais commissaire au commissariat centrale de Dakar. J’ai eu à mener des auditions de personnalités sur des questions politiques, des questions de sécurité. J’ai pas mal d’anecdotes. Mais l’obligation de réserve ne me permet pas de tout dire. 
 
Quel regard portez-vous sur la présence féminine dans les rangs ?
 
Avec ma collègue Codou Camara, nous qui sommes les premières femmes de la Police, nous nous sommes toujours dits que nous avions une responsabilité historique. Il ne fallait jamais prêter le flanc, ne jamais donner l’occasion qu’on dise : «c’est parce que c’est une femme que la mission n’a pas été bien menée ». Notre doyen Amath Khary Béye, qui était directeur de l’Ecole de police à l’époque, nous avait dit le jour de la sortie de notre promotion : «Rappelez-vous toujours que le jour où devant une mission vous vous diriez que nous sommes des femmes, ce jour-là vous avez échoué. Vous devrez rendre les épaulettes et rentrez chez vous».  Ce conseil ne m’a jamais quitté. J’ai eu à gérer des situations compliquées à Saint-Louis où j’ai été la première femme commissaire de police, en tant que commissaire d’arrondissement de Sor. J’ai eu à assurer la sécurité pendant les événements d’avril 1989 entre le Sénégal et la Mauritanie. Bien après, il y a eu des événements plus ou moins similaires, mais de moindre ampleur avec le quartier de Guet Ndar. Mais jamais je n’ai mis les hommes devant et moi en arrière.
 
Avez-vous connaissance de promotionnaires ou d’autres policières qui ont eu à s’illustrer dans la profession ?
 
Des femmes ont été dans le système des Nations Unies comme Aminata Thiaw. Elle a marqué de façon pertinente ses missions. Ma collègue, avec qui j’ai été première femme commissaire,  Codou Camara, a été aussi dans le système des Nations Unie comme formatrice. Elle a été la première femme africaine et Sénégalaise à avoir été décorée de la Médaille des Nations Unies. Récemment on a eu l’adjudant Seynabou Diouf, qui a eu être décorée de la Médaille des Nations Unies. D’une manière générale, les femmes sont brillantes dans la police. On pas sur le dos des faits scandaleux qui portent atteinte à l’image de la femme.  Les jeunes que nous suivons maintiennent le flambeau très haut.