Des sportives bientôt disqualifiées si leur niveau de testostérone est trop haut ?

Les mondiaux d'athlétisme, qui se tiennent à Londres jusqu'au 13 août 2017, on vu resurgir la polémique ancienne des femmes sécrétant "trop" de testostérone. La fédération d'athlétisme a publié une étude à charge dans le British Journal of Sports Medicine. 

Alors que les championnats mondiaux d'athlétisme se tiennent à Londres jusqu'au 13 août 2017, l'épreuve du 1.500 m féminin a vu Caster Semenya monter à la troisième place du podium. Cette médaille de bronze ravive une polémique houleuse qui date de la victoire de l'athlète sud-africaine aux championnats de Berlin en 2009. À savoir, la production de testostérone en excès par certaines sportives, comme Semenya ou l'indienne Dutee Chand. La première avait du subir l'humiliante épreuve d'un "test de féminité".

Il n'empêche que jusqu'à 2015, la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF) obligeait ces sportives à suivre des traitements anti-androgènes afin de pouvoir concourir dans la catégorie féminine ! Mais l'IAAF pourrait finalement revenir sur la suspension de cette mesure : elle a en effet publié fin juin 2017 dans le British Journal of Sports Medicine une étude concluant à un lien de cause à effet entre le niveau de testostérone sanguin et les performances des sportives. Or ce phénomène, pas si rare, a en fait peu à voir avec le genre. Il peut trouver pour cause une anomalie génétique ou encore un désordre hormonal sans recours à des produits dopants. Explications.

Avantage ou discrimination : un feuilleton juridique

Cofinancée par l'IAAF et l'Agence mondiale antidopage (AMA), l'étude soutient que les hauts niveaux de testostérone produits par certaines sportives leur donnent un avantage "significatif" dans certaines épreuves. Elle a passé en revue plus de 2.000 données : les meilleures performances d'athlètes hommes et femmes aux Mondiaux 2011 et 2013 et le taux de testostérone dans leur sang. Selon ces résultats, les femmes aux plus hauts taux avaient de meilleures performances dans certaines disciplines que celles chez qui ce taux était moindre : le lancer de marteau (4,53% de mieux), la perche (2,94%), le 400 m haies (2,78%), le 400 m (2,73%) et le 800 m (1,78%). Les différences n'étaient en revanche pas significatives pour le 100 m (il s'agit pourtant de la distance de prédilection de Dutee Chand) et le 200 m.

L'étude est signée par Stéphane Bermon, qui a participé à des groupes de travail de l'IAAF, et par Pierre-Yves Garnier, directeur du département Science et santé de l'IAAF. À noter que ce dernier avait précédemment été suspendu trois mois pour son implication dans l'affaire du dopage dans l'athlétisme russe. Cela "fait partie des preuves que l'IAAF réunit pour retourner devant le Tribunal arbitral du sport (TAS)", ont commenté les auteurs dans un communiqué. En effet, le Tribunal arbitral du sport (TAS) avait suspendu en 2015 le règlement par lequel l'IAAF obligeait ces femmes à suivre des traitements pour avoir le droit de participer aux compétitions. La plus haute instance de la justice sportive avait ainsi donné à l'IAAF jusqu'au 27 juillet 2017 pour prouver scientifiquement que les athlètes femmes "hyper-androgènes" (qui sécrètent naturellement trop de testostérone, une hormone mâle aussi utilisée comme produit dopant) sont favorisées. Faute de quoi le règlement de l'IAAF à leur sujet, qu'elles jugent discriminatoire, sera définitivement retoqué.

La testostérone, une hormone masculine... et féminine

D'un côté, les adversaires de ces athlètes hors-normes crient à la concurrence déloyale. "Ce n'est pas du sport", avait pesté la Britannique Paula Radcliffe au sujet de Semenya lors des JO de Rio. Mais la testostérone n'est pas seulement une hormone masculine, bien que sa concentration soit 6 à 15 fois supérieure chez l'homme ! Produite par les glandes surrénales et les ovaires, elle joue chez la femme comme chez l'homme un rôle-clé dans le développement musculaire (d'où son usage par les culturistes pour ses propriétés anabolisantes) ou encore la mémorisation. En cas de syndrome polykystique des ovaires ou de tumeur corticosurrénalienne, certaines femmes vont ainsi voir leur taux de testostérone augmenter. Sans compter qu'il existe des femmes porteuses du caryotype XY (et inversement des hommes XX), des cas d'intersexuation où peuvent être exprimées des caractéristiques phénotypiques (différenciation des organes reproducteurs et des gonades) et hormonales à la fois masculines et féminines. De quoi troubler le recours à une étiquette strictement masculine ou féminine, puisqu'il s'agira alors des 2 à la fois avec des modalités très variables selon les cas individuels.

DISCRIMINATION. Ces soupçons peuvent avoir des conséquences psychologiques désastreuses pour les femmes hyper-androgènes, qu'elles soient intersexuées ou non. "Je suis passée par des états de grande souffrance et me suis sentie humiliée", avait confessé Dutee Chand à l'AFP, la voix étranglée par l'émotion, quand le TAS lui avait donné raison. "Le sport a deux piliers: le premier c'est l'inclusion, inclure des gens pas tout à fait comme les autres, et le deuxième c'est l'équité", estime Bermon. Selon lui, les cas Semenya/Chand posent "problème" car "ces deux vertus s'affrontent au lieu de cheminer côte-à-côte".

Des biais méthodologiques ?

Quoi qu'il en soit, tous les cas d'hyperandrogénie sont loin d'être comparables, selon l'endocrinologue David Cohen, cité par nos confrères américains de STAT. Ce dernier voit plusieurs biais dans l'étude de l'IIAF, à commencer par le fait qu'elle comporte dans son décompte des sportives artificiellement dopées à la testostérone, "selon des dosages différents d'une coureuse à l'autre". D'autant plus que le niveau de testostérone fluctue considérablement au cours du cycle menstruel, et que l'étude a comptabilisé en double les 17,3% de sportives présentes en 2011 et en 2013, "ce qui pourrait fausser les données et les rendre non significatives". "L'étude ne dit pas si c'est bien la testostérone qui rend ces femmes plus performantes, elle n'établit pas de lien de cause à effet", martèle-t-il. Restera à savoir si l'impératif d'égalité dans le sport nécessitera bientôt d'ouvrir de nouvelles catégories, en fonction non plus seulement du genre ou du poids (comme c'est le cas dans les sports de combat), mais peut-être plus simplement du profil hormonal.

 

 

Source : sciencesetavenir.fr