Interview : le styliste Ivoirien Eloi Sessou à l`assaut du pagne tissé Dan

Aux âmes bien nées, dit-on, la valeur n’attend point le nombre des années. Des amphithéâtres du département de chimie à la haute couture et au stylisme, il a fallu de la passion et une bonne dose de persévérance à Eloi Sessou pour y arriver.

Eloi Sessou, doué avec une maîtrise débordante de son art, a su faire la jonction entre les cours de chimie et les bruits harmonieux des ciseaux de la haute couture ivoirienne à force de travail acharné et rigoureux. Aujourd’hui, au sommet de son art, allons ensemble à la découverte de Eloi Sessou, grand créateur de mode dont la griffe compte en Côte d'Ivoire et sur le continent.

Dites-nous, combien d’années dure votre idylle avec le stylisme?

Et bien, cette palpitante aventure ne fait environ qu’un quart de siècle. Pour faire simple, cela fait environ 15 ans.

Quel regard rétrospectif portez-vous sur vos 15 ans au service de la création?

Comme le laboureur à ses enfants, travaillez, prenez de la peine, nous avons beaucoup travaillé. Le faisant, nous avons également beaucoup appris et nous nous sommes formés en forgeant en nous un esprit de conquérant. Et je pense vraisemblablement que c'est l’immense richesse qu’on en tire. La richesse d'avoir été formé en travaillant, surtout formé et être formé. Et le résultat puisque nous allons à l'extérieur. Je pense, disons le humblement, du chemin a été fait, on est allé à une marche un peu plus haute. Cependant, nous n’avons pas encore atteint nos objectifs et nous y travaillons. Au regard des résultats ou des retours qui nous parviennent de la clientèle, notamment les critiques de mode, on a une toute petite satisfaction du travail qu'on a abattu depuis 15 ans.

Si c’était à recommencer, le referiez-vous?

Oui, bien entendu. C'est vraiment passionnant et surtout riche en apprentissage. Mais le faisant, n’oublions pas Dieu qui programme tout, influence et oriente nos décisions. Sinon, sans la volonté de Dieu, comment comprendre que j'étais en physique chimie préparant la licence quand j'ai atterri dans la mode. Je suis très croyant et si c'est le même chemin que Dieu a prévu pour moi, et que c'est à recommencer, je me laisse toujours guider par l'instinct divin.

Pourriez-vous nous présenter brièvement votre nouvelle collection?

Nous avons décidé de faire la promotion de notre patrimoine culturel et artistique. C’est ce qui explique notre volonté de mettre en avant le pagne tissé d'une des régions de la Côte d'Ivoire, principalement le pagne Dan de l'ouest. Et cela a une histoire. Nous sommes tombés amoureux de ce tissu au cours de l’invitation en fin d'année 2017 à participer à un festival dénommé Tonkpi Nihidaley de Man dans l'ouest du pays. Et donc autour de ce festival, il fallait travailler sur le tissu local et, le faisant, nous avons succombé au charme de ce tissu et en sommes tombés amoureux. Ce tissu a quelque chose de si particulier que nous avons décidé de sortir une collection dans ce textile. Cela tombait à point nommé parce que le Ministère de la Culture et celui du Tourisme étaient entrain d’y travailler pour que les créateurs, cette année 2018, puissent mettre en avant le textile de chez nous. Du coup ça a été très bien reçu par les personnalités présentent.

Quel est le message derrière cette collection?

Le message est à la fois laconique et très simple. Comprenons à cet effet nul ne viendra faire notre bonheur à notre place. De cette même manière, n’allons pas chercher ou regarder loin, ce que l’on peut avoir tout près de nous. Parce que le même textile a donné un résultat complètement hallucinant, n’allons pas chercher loin ce qu'on a juste à portée de main. Je dirais même plus que les tissus que nous avons l'habitude de travailler qui ne sont pas les tissus de chez nous. On a chez nous une richesse inouïe qui mérite d'être exploitée. J’apporte simplement ma toute petite contribution à la revalorisation de cette richesse textile qu'a la Côte d'Ivoire.

Comment voulez-vous que les gens se sentent en portant cette nouvelle collection?

Qu'ils se sentent très bien évidemment. Qu'ils se sentent ivoiriens et fiers de l'être, qu'ils se sentent africains, surtout un être humain normal. C'est à dire qu'on portera le pagne tissé ivoirien comme on porte le voile venant de l'Inde, ou du satin venant de l'Europe ou comme on porte la dentelle venant de la Suisse.

Quelle est la robe la plus extravagante que vous ayez créée ?

(Rire). Vous me ramenez la quelques années en arrière, au début de ma carrière. En 2003, en ce moment on sortait de l’école, les idées fraîches et on a avait beaucoup de choses à montrer. Vous savez, quand on est jeune créateur, encore très jeune et que tout est encore très frais, on a non seulement l’imagination fertile, mais également on est un peu dans l'extravagance, on explose dans la créativité. On a, dans ces conditions, envie de se faire remarquer. Je travaillais beaucoup avec les plumes. Il y avait plein de plumes, des écorces...

Je pense qu'en ce moment-là ou on faisait les tenues artistiques de Miss Côte d'Ivoire, on faisait le YEHE. Au fur et à mesure qu'on avance dans la carrière, il faut vendre après. Parce que tout ce que vous créez doit être consommable sinon c'est un peu compliqué. Je ne suis pas costumier de cinéma donc du coup on essaie de garder la créativité mais créer absolument des choses beaucoup plus consommables.

Est-ce que les autres ont compris cela?

Je pense que oui. Les créateurs africains, ivoiriens, font maintenant du prêt à porter ici, à Abidjan ou ailleurs.

Quel est, selon vous, la source d’inspiration, Ce qui vous plaît dans notre époque? Qu’est-ce qui vous fascine au point de vous amener instamment à créer?

Tout m’inspire et je m'inspire de tout. L’environnement m’influence plus. Je sors faire du shopping, rencontrer une dame au bord de la route, dans le coin de la rue, au guichet automatique dans une banque... Enfin tout ce qu'il y'a autour de moi peut m'inspirer. Ces derniers temps, je m'inspire des chansons parce que je suis choriste à la base, j'aime beaucoup le live. Les notes musicales m'inspirent. La dernière collection d'ailleurs quand on a présenté en avant première, lorsqu'on l'a présentée au lancement de Miss Côte d'Ivoire c'était sur des notes des chanteuses qui ont interprété une chanson du Bembeya Jazz. Donc en ce moment je suis très inspiré et tout ce que je fais parle de musique.

Votre message aux jeunes stylistes qui veulent suivre vos traces?

Je leur dirai que rien de grand ne se construit dans la facilité. Aux jeunes créateurs, il faut travailler constamment. Malheureusement, la nouvelle génération, dite ''la génération pressée'', veut tout et tout de suite. Il faudrait qu'ils se remettent au travail, qu'ils vivent leur temps mais qu'ils soient très patients. La vie se construit dans le temps. Ce n'est pas en allant très rapidement qu'ils arrivent à point nommé, non, non et non. Il peut y avoir des exceptions, c'est comme ça que ça fonctionne.

Tout le monde ne peut pas avoir le même parcours dans la vie. Il faut prendre son temps vivre ses propres expériences, travailler dur, avoir l'amour du travail bien fait et finalement un jour il y arrivera.

 

Florence Bayala