Me Bitty-Kouyaté Christiane, notaire : ‘‘Nous nous posons la question de savoir si nous n`achetons pas la femme par la dot. ‘’

Anciennement présidente de la chambre des notaires, présidente de l’association des femmes juristes et de plusieurs organisations non-gouvernementales, Maitre Christiane Bitty-Kouyaté est une juriste émérite plus précisément notaire. 21 ans durant, Me Bitty-Kouyaté, cette Don Quichotte tenace, a fait montre de sa droiture et de son abnégation dans des instances dirigeantes notamment l’union internationale du notariat. Aux âmes bien nées la valeur n’attendant point le nombre des années, elle est aujourd’hui académicienne et membre de l’ASCAD. Dans le cadre du mariage coutumier et admettant que le devoir d'information et de conseil du notaire ne se limite pas à s'assurer de l'intégrité du consentement du donateur au regard de l'erreur ou du dol, nous avons soumis à sa sagacité la question relative à dot en Côte d’Ivoire. La dot est-elle interdite à tort ou à raison?De son antre,  Me Bitty-Kouyaté nous éclaire sur le sujet…

Que pourriez-vous nous dire de la dot, surtout dans nos traditions africaines?

A beau chasser le naturel, dit-on, il revient au galop. Cette expression m’invite, et vous le savez autant que moi, à dire la tradition est têtue. Cela me plonge dans les années après l’indépendance pendant lesquelles certaines lois se sont difficilement appliquées étant donné un décalage entre la réalité sociale qui a prévalu durant de nombreuses années et la loi qui vient mettre fin à certaines pratiques. Au nombre de ces pratiques-là, figure à bonne place la dot. Dans toutes nos traditions, soyons sincères et ne nous voilons pas la face, la dot, du nord au sud et de l’est à l’ouest en passant par le centre, existe. Malheureusement, la loi ivoirienne, dans sa disposition actuelle, est venue interdire la dot en ces termes: ‘’ l'institution de la dot, qui consiste dans le versement au profit de la personne ayant autorité sur la future épouse, par le futur époux ou la personne ayant autorité sur lui, d'avantages matériels conditionnant la réalisation du mariage traditionnel’’. La dot prise dans ce contexte a été immédiatement abolie. Pour d’autres dispositions, en revanche, on a accordé un temps qui, par exemple,  peut être de 2 ans.

Pour ce qui concerne la dot, aucune alternative possible puisqu’elle a été systématiquement aboli.

Quelles sont les causes réelles de l’interdiction de cette pratique par la législation ivoirienne en son article 20 de la loi n°64-381 du 07 octobre 1964?

Nos sociétés, et c’est dommage, regorgent d’individus ou de personnes qui vont toujours au-delà du convenable. Leurs malveillances mettent à mal le bon fonctionnement des faits. Ce qui, bien entendu, rend difficile les choses. C’est d’ailleurs l’une des causes réelles de cette interdiction, et non des moindres, les abus : monnayer le mariage. Et vous conviendrez avec moi, que depuis bien longtemps, il y a qu’on ne peut  pas se marier si on n’a pas suffisamment d’argent. Alors est-ce le but véritable du mariage? La seconde raison, qui se veut moderne et des idées en tout cas, c’est la chosification de la femme. Il ne faut pas que la notion de dot soit un moyen pour certaines personnes de chosifier la femme, de la prendre comme un objet sur lequel l’on a tous les droits et dont on peut jouir à souhait. Comprenons tout simplement  qu’à partir du moment où les avantages matériels, en nature ou en somme d’argent, sont importants, nous nous posons la question de savoir si nous n'achetons pas par ce biais la femme. Il serait donc bienséant  de permettre la promotion du mariage et valoriser la femme. Et ce, de manière à ce que son époux ou les parents de son futur époux ne l’achètent pas en quelque sorte de peur que ce ne soit un moyen de chantage minimisant celle-ci en  la rendant fragile dans le ménage. Force est aussi de reconnaître qu’au moment où cette loi a été prise en 1964, nos peuples, qui avaient pour modèle le colonisateur dont ils subissaient la pression, sortaient du joug colonial et embrassaient l’indépendance. Et comme la vision du colonisateur n’était pas la même que la nôtre, eh bien, on s’est cru obligé, au lieu de réglementer beaucoup plus cette question de dot,  de carrément l’interdire.

Alors, n’aurait-il pas été plus judicieux, peut-être, de reformuler la dot que de l’interdire?

Votre avis est fort à propos. Toutefois, et je vous l’ai signifié tantôt, l'idéal aurait été de réglementer en stipulant par exemple que les avantages ne doivent pas dépasser tel montant des avantages perçus par la famille de l’épouse. En d’autres termes, il serait souhaitable de proposer par exemple 1000FCFA comme le montant de la dot. Cette somme insignifiante soit elle, ne signifie pas que vous n’avez pas de valeur, non loin s’en faut. N’oublions pas qu’à côté de la dot, il y a les cadeaux. Donc introduire la notion de dot et de cadeaux dans notre code civil aurait été intéressant pour ne pas être en porte à faux avec la loi. Mieux, il est déplorable de savoir que de telles lois existent et ne s’appliquent pas. Alors qu’il y a des sanctions d’emprisonnement qui ne servent à rien, si personne, je vous dis personne, ne pratique cette non-dot comme on le dit. Il ne faut pas oublier que  le passé construisant l’avenir, notre passé ne peut, en aucun cas, s’effriter et s’effacer d’un coup de bâton magique. Je tiens à dire qu’il est important d’adapter certaines lois aux réalités de nos pays africains qui aiment la fête. Par ricochet, interdire cette cérémonie de dot, c’est proscrire une fête, une opportunité de communion et de cohésion aussi bien pour la femme que pour les hommes qui ont l’occasion de danser, de s’amuser et de boire.

La loi, par ailleurs, limite quand même en admettant qu’il ne faudrait pas que cela conditionne la réalisation du mariage traditionnel. La loi a cru limiter alors que la dot est au cœur du mariage traditionnel. Sachez qu’il est impossible de s’en défaire et même mieux, alors que la loi dit que tout mariage quel qu’il soit, doit se faire après le mariage civil, dans notre loi, vous constatez avec moi que les mariages religieux musulmans, les mariages traditionnels se font avant le mariage civil. C’est dire qu’il y a une résistance de la coutume, qui est d’ailleurs  fondée, concernant le mariage coutumier  puisqu’on ne peut pas se marier sans l’union de deux familles symbolisée par la remise de la dot autour de ces deux familles.

Une question un peu imagée, puisqu’on suit les colons dans leur logique. Alors la dot ne serait-elle pas la ‘’copie’’ des fiançailles chez les occidentaux?

Quoiqu’il y ait une similitude, lors des fiançailles, le fiancé offre une bague bien souvent couteuse à la fiancée, la différence existe au niveau de la mentalité qui n’est pas la même. Chez nous, il y a le souci du paraître, et de la domination de l’homme sur la femme : ‘’je t’ai dotée, tu n’as rien à dire autrement’’. Vous voyez déjà cette remarque-là. Alors que les fiançailles, telle que c’est vu en Europe, c’est vraiment un cadeau pour faire plaisir, un signe d’amour. A contrario, est-ce que la dot, c’est signe d’amour? Ça ne l’est pas forcément. C’est interpréter comme un engagement symbolisé par du matériel.

Me Bitty-Kouyaté, dites moi, est-il possible si on n’aime pas une personne, de prendre des engagements vis-à-vis d’elle? 

Bien sûr qu’on peut ne pas aimer. Et les cas sont légions. Effectivement, nous avons des cas de mariage qui se font sans aimer la personne en face. Savez-vous qu’on peut épouser mille personnes coutumièrement? Croyez-vous que ces milles personnes sont aimées? Il s’agit du jeu du cache-cache d’amour. Ce n’est pas évident que ce soit une preuve réfutable d’amour que de convoler en juste noce, si nous voulons vraiment revenir à la version moderne par le mariage traditionnel.

Me, pendant que l’article 20 interdit la dot,  l’article 23 nous dit ceci: ‘’En cas de divorce prononcé aux torts et griefs exclusifs de l'épouse, le tribunal pourra en ordonner la restitution partielle ou totale’’. N’y a-t-il pas une ambiguïté à ce niveau?

Oui! Qu’a cela ne tienne. Regardez bien l’article 20: ‘’ Par exception à ce qui est dit à l'alinéa 2 de l'article premier, l'institution de la dot, qui consiste dans le versement au profit de la personne ayant autorité sur la future épouse, par le futur époux ou la personne ayant autorité sur lui, d'avantages matériels conditionnant la réalisation du mariage traditionnel.’’

On peut se défendre en disant que la dot ne conditionnait pas la réalisation du mariage traditionnel. Et là, c’est très rare parce qu’on voit très bien dans le déroulé de la cérémonie du mariage traditionnel. Pas de dot pas de mariage. Mais pour sauver le législateur qui a commis une coquille à travers ce texte, cet article 23, on peut dire qu’il se base sur cela pour instaurer une institution. C’est comme si on demandait la restitution d’une donation or une donation ne peut pas être restituée, surtout que possession vaut titre. C’est-à-dire que si vous avez un bien mobilier, c’est celui qui a le bien mobilier qui en est le propriétaire. Alors comment on peut ordonner la restitution partielle ou totale? Il n’y a pas eu de vol.

Alors que prévoit la loi pour les personnes qui s’entêtent à la pratique de la dot hormis l’emprisonnement dont vous avez parlé plus haut?

Il n’y a rien du tout. On parle d’une amende double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues ou demandées, etc. Mais en réalité, soyons sérieux. On ne court aucun risque sinon tous les ivoiriens mariés seraient en prison, même en passant par la mairie. Tous seraient en prison. Parce que c’est vraiment la réalité le mariage traditionnel.

Que devons-nous retenir de la dot?

Il est bon de souligner que, de plus en plus et de mieux en mieux, même les personnes modernes qui ne sont pas de 1960, qui sont des années 80 et au-delà, cherchent à avoir le mariage traditionnel et c’est devenu un effet de mode. Vous ne pouvez pas vous marier à la mairie sans passer par le mariage traditionnel. Et vous constaterez de vous même qu’il y a de plus en plus de grandes fêtes. Ce qui fait penser a pourquoi rechigner au mariage traditionnel s’il y a de telles fêtes. Est-ce que les causes qui ont permis l’interdiction de la dot, ne sont pas balayées du revers de la main? Quand on sait que l’une des causes, c’est pour empêcher que la femme soit achetée? Mais vous faites des fêtes, qui vous coûtent plusieurs millions parfois. Est-ce que ça empêche les dépenses? L’institution de la dot empêche-t-il quelqu’un de se marier puisque cette dot-là est suivie d’une fête grandiose? Est-ce que le modernisme et toutes nos lois  qui ont notamment aboli le mari comme chef de la famille peut aller encore avec cette interdiction de la dot? Les causes de l’interdiction de la dot sont à mon avis, totalement dépassées. Donc il faut raison garder et avoir le courage de revenir sur cette loi-là.

 

 

Yolande Jakin