Crèmes dépigmentantes: blanche à tout prix !

À Paris, on estime qu'environ 20 % des femmes d'origine africaine utilisent des produits contenant de l'hydroquinone, dangereuse pour leur santé.

Les Sénégalaises appellent cela le « xessal », les Camerounaises le « maquillage » et les Maliennes parlent de « tcha-tcho » . Les médecins, quant à eux, déplorent une « dépigmentation volontaire ». La Mairie de Paris estime qu'environ 20 % des femmes d'origine africaine habitant la capitale appliquent crèmes et sérums blanchissants à base d'hydroquinone. Un vrai problème de santé publique : ce composant interdit à la vente libre en France conduit, en application cutanée, au vieillissement prématuré de la peau et à de multiples complications irréversibles. En inhibant la production de la mélanine, il fait perdre à la peau sa protection naturelle contre les rayons du soleil et la rend plus sujette à certains types de cancers. Ce produit dangereux peut aussi amincir la peau, laissant apparaître des taches foncées ou des vergetures définitives. D'autres effets secondaires sont à noter, notamment l'ochronose, une pigmentation bleuâtre ou noirâtre.

Selon le dermatologue Pierre-Patrice Cabotin, « le problème de l'hydroquinone, c'est que ça entraîne un éclaircissement en inhibant les cellules pigmentaires (les mélanocytes), mais ça a également un effet destructeur. À la longue, on peut avoir des dépôts en profondeur, du fait de la dégradation de l'hydroquinone et de divers produits de la mélanine qui donnent des peaux noirâtres – l'ochronose – et qui sont définitives. » Et de préciser : « On peut utiliser de l'hydroquinone, sur des durées limitées, à des concentrations définies, et sous surveillance médicale. »

Un marché international en pleine expansion

Malgré les risques, la tendance ne cesse d'enfler et touche tous les continents. En 2024, le marché mondial de la dépigmentation représentera plus de 31,2 milliards de dollars, selon Global Industry Analysts . Un business colossal qui doit son succès à une découverte accidentelle. Dans les années 60, les ouvriers américains dans l'industrie du caoutchouc utilisent des produits à base d'hydroquinone. Ils constatent rapidement l'effet blanchissant du composant sur les mains des ouvriers noirs. De quoi inspirer l'industrie cosmétique, qui vendra à travers le monde « la beauté blanche », surfant sur un vieux complexe hérité de l'ère coloniale. Si la ruée sur les crèmes dépigmentantes est un phénomène essentiellement asiatique et africain, la France et ses six millions de femmes noires ou métisses n'y échappent pas. À Château-Rouge, le quartier afro de Paris, les magasins de cosmétiques proposent un choix abondant de crèmes. Les commerçants vendent parfois un produit blanchissant sans savoir qu'il contient de l'hydroquinone. D'autres ignorent que ce composant est interdit à la vente libre en France depuis le 1er janvier 2001, quel qu'en soit le dosage. En effet, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) a établi une liste des produits éclaircissants non conformes et dangereux pour la santé. Saisis et retirés du marché entre janvier 2015 et avril 2016, ces produits transitent pourtant tous les mois depuis l'Afrique. Caro Light, Caro White ou encore Clear Essence, des dizaines de crèmes au nom évocateur, fleurissent inlassablement sur le marché.

L'hydroquinone, un poison en tube

En France, l'hydroquinone n'a qu'un seul usage autorisé dans les cosmétiques pour la préparation pour ongles artificiels et à une faible teneur (0,02 %). Or, dans les produits blanchissants, la DGCCRF a identifié des dosages de l'ordre de 4 % pour les crèmes (pots), laits (flacons), et dans les huiles à des teneurs plus fortes (8 à 10 %). Aissata Lany (dont le nom a été modifié), ancienne utilisatrice de crèmes éclaircissantes, a confié au Point son expérience. Elle se souvient que pour « rester dans le mouv' » et éviter les remarques douloureuses, elle a dû sacrifier son teint ébène. Pendant près de dix ans, elle a appliqué des crèmes à base d'hydroquinone, importées d'Afrique ou achetées dans les magasins parisiens, y consacrant un budget de quelque 200 euros par mois. La jeune femme reconnaît même avoir fait des réserves de crèmes, de peur de les voir disparaître des rayons. Malgré les dangers pour sa santé et le poids financier de cette « addiction », qu'importe les sacrifices, il fallait être blanche à tout prix.

 

 

Source: lepoint.fr