Entre militantisme et ``sisterhood``, Hafsat Abiola en marche pour les femmes entrepreneures africaines

“Du Maroc à l'Afrique du Sud, nos filles et femmes hisseront le continent si on leur fait comprendre qu’elles ne sont ni une fatalité, ni conçues pour être victimes de tous les abus”.

Sa voix est douce, teintée de bienveillance mais ses yeux scintillent d’un feu intérieur qui nourrit, depuis des années, un militantisme et une détermination sans failles. C’est dans les jardins du Beldi Country Club que la militante nigériane Hafsat Abiola nous accorde quelques longues minutes, après son discours d’ouverture au 2e Sommet annuel Women in Africa (WIA) à Marrakech.  Celle qui a succédé en juin dernier à Aude de Thuin à la présidence de WIA se sent investie dans une mission de grande envergure, celle de mettre en valeur le potentiel des femmes, “plus grande ressource inexploitée du continent africain”. Une nomination qui coïncide, selon elle, avec une période “de grands espoirs pour l’Afrique”. Cette année, pas de “je suis une femme blanche au coeur noir” -une maladresse attribuée à sa prédécesseure qui avait marqué le premier discours d’inauguration l’an dernier- Hafsat Abiola est une femme solidement ancrée dans les réalités de son continent et le fait savoir. Il se murmure même, depuis son avènement, qu’elle est plus “légitime”, “plus apte à porter la voix de la femme africaine”.

Fille de l’opposant Moshood Abiola, candidat et présumé vainqueur de l’élection présidentielle de 1993 au Nigéria, détenu en prison où il est mort un an après et de Kudirat Abiola, assassinée pour avoir demandé la libération de son mari, Hafsat a le militantisme dans les veines et défend ardemment les intérêts des siens, surtout de ses “soeurs africaines”.  “À travers WIA, nous souhaitons rendre aux femmes le respect, la place et la reconnaissance qu’elles méritent. Ma fonction de présidente est surtout une opportunité d’être avocate pour toutes les femmes qui font la richesse de notre continent et j’aimerais que chacune de mes expériences, de la plus heureuse à la plus tragique, puisse leur être profitable”, précise, avec une humilité qu’elle cultive à merveille, cette diplômée de la Phillips Academy et de Harvard.

Pleinement consciente des difficultés que confère son statut, elle reste pragmatique et ne sombre pas dans l’optimisme propre à tous ceux qui ont tenté de sauver l’Afrique. “On doit apprendre des obstacles de notre passé, prendre la responsabilité de notre histoire et ne plus s’engager dans des relations qui ne nous honorent pas”, espère-t-elle.

Le “sisterhood” pour leitmotiv “Incroyables, extraordinaires, miraculeuses”...

Hafsat Abiola ne tarit pas d’éloges pour désigner celles qui l’entourent et mise sur le fameux “sisterhood” à l’américaine pour fédérer une sororité de femmes, privilégiées s’attarde-t-elle à reconnaître, “conscientes de leur pouvoir et de leur leadership”. Toutefois, il n’est pas question pour elle d’attaquer le système patriarcal, “ce serait régressiste et peu productif, il faut aller de l’avant et catalyser toute notre énergie pour créer une nouvelle dynamique”, assure-t-elle. Une dynamique salvatrice pour permettre aux femmes de sortir des rôles auxquels elles sont cantonnées, sans blâmer le genre opposé. “Il faut qu’on murmure aux hommes qui dorment dans nos lits, à nos fils qu’on élève, que nous sommes bien plus que des bonnes épouses et mères, nous sommes des femmes qui se sacrifient au quotidien pour rendre meilleure la vie des autres. C’est là la particularité de la femme africaine, son coeur est intimement lié à son cerveau”, insiste la militante qui cite pour exemple Khadija, la femme du prophète Mohammed, “si forte, si accomplie, si présente dans la société... Elle avait un réseau incroyable”.

L’éducation des filles, un levier indispensable

Justement, Hafsat Abiola a pour ambition d’agrandir un réseau de femmes et investir en elles si on estime que le développement du capital humain est central pour sortir l’Afrique de la pauvreté, explique-t-elle. Si pour beaucoup, le sommet WIA Initiative ne réunit que des cadres, PDG de banques ou multinationales, et femmes avec des postes à responsabilités, pour elle, il attire aussi toute une génération de femmes au potentiel de leaders et entrepreneures qui porteront un message aux quatre coins du continent. “Nous soutenons les jeunes talents pour faciliter une transmission intergénérationnelle des compétences et des expériences. L’entraide et le partage sont deux moteurs essentiels à notre développement”, poursuit-elle.

La transmission passera surtout par l’éducation, un chantier majeur auquel elle veut se donner corps et âme: “Je m’engage à faire tout mon possible afin que nos filles, partout en Afrique, poursuivent leur éducation au-delà de 16 ans. Nous sommes en train de réfléchir à des plans d’actions”, détaille-t-elle, animée par l’intime conviction qu’instruire les jeunes filles “c’est leur donner le pouvoir d’être un jour ce que les autres redoutent, à savoir des femmes intelligentes et indépendantes”.  “Du Maroc à l’Afrique du Sud, nos filles et femmes hisseront le continent si on leur fait comprendre qu’elles ne sont ni une fatalité, ni conçues pour être victimes de tous les abus”, conclut cette femme de 44 ans, visionnaire et distinguée à plusieurs reprises, entre autres, par le Prix de la jeunesse pour la paix et la justice de la Commission pour la paix de Cambridge et le titre de Leader mondial de l’avenir au forum économique mondial de Davos. Si elle projette d’arpenter le monde pour braquer les projecteurs sur l’Afrique, elle reste surtout ancrée à son port d’attache: son Nigéria pour qui, avec passion, elle a tant milité et tenté d’y promouvoir la démocratie, notamment à travers le Kudirat Initiative for Democracy (KIND) qu’elle a fondé en hommage à sa mère, son plus grand modèle.

 

Source: huffpostmaghreb.com