Maï Lingani /Artiste-chanteuse : ``quand on demande pardon, cela exprime une grandeur d`esprit``

Jeune femme africaine charismatique et talentueuse, Maï Lingani est une chanteuse, auteur-compositeur et danseuse. Commencée en 1994 par le théâtre puis la danse à l’INSAAC d’Abidjan en Côte d’Ivoire où elle a vécu jusqu’à l’adolescence, la carrière professionnelle de Maï Lingani la conduit, forte de cette expérience académique, à  la célèbre émission musicale de la télévision ivoirienne « Podium ».

En 1996, à la rencontre des musiciens Lukas Ligeti (Autriche) and Kurt Dahlke (Allemagne) avec qui elle participe à l’enregistrement du 1er CD remarqué de leur groupe “Lukas Ligeti & Beta Foly”, chez Intuition Records. Revenue à Ouagadougou en 1997, elle devient rapidement l’une des artistes les plus sollicitées couronnée en 1998 par le Grand Prix National de la Chanson Moderne Burkinabé, le trophée de musique le plus important du pays. Passionnée de musique, de danse et rapidement adoubée et acclamée pour ses interprétations novatrices alliant musique moderne et traditionnelle, Maï partage ainsi son temps, depuis 2001, entre le Burkina Faso, l’Europe et les Etats-Unis. Comment en est-elle arrivée la? L’art musical a-t-il un secret pour elle? Découvrons la...

Comment êtes-vous tombée dans la sphère musicale?

Je ne sais pas trop comment l’expliquer, mais tout remonte à mon enfance. Je me souviens que toute petite déjà, j’étais toujours attirée par les sonorités musicales. Ce qui, au fil de ma croissance, a rejailli sur mes habitudes. A l’école, j’avais un faible pour les animations culturelles. Devenue adolescente, j’allais d’un bar à un autre en quête de la perfection comme choriste. Et de fil en aiguille, je suis devenue chanteuse sans bien sure oublier mon passage à l’école de théâtre et de danse. Alors, a tout bien considéré, je dirai que la musique, étant dans les gênes puisque mon oncle était percussionniste, ma mère aimait beaucoup chanter et mon grand père musicien, a pris le devant des choses. Et c’est bien plus tard que j’ai réalisé mon appartenance  à une famille d’artistes. Alors que chez nous les ‘’lingani’’ veut dire prince ou princesse.

En tenant donc compte de la signification de lingani, la princesse devrait-elle faire la musique?

Je ne sais pas… Mais on ne sait toujours jamais dans la vie. Tu nais pour quelque chose. Donc, chacun a un don quelque part, chacun est né avec quelque chose qui se dévoile au fil des années quand il grandit. Je pense que ça a été mon cas.

Pouvez-vous nous décrire votre style de musique?

Alors, je fais la pop music, la musique tradi-moderne, c’est tout ce que je peux dire. Je m’inspire du traditionnel de chez moi, de l’Afrique, joint au modernisme. C’est l’accumulation de toutes mes expériences, les collaborations que j’ai eues avec des artistes de différents horizons, d’Afrique d’Europe et des USA. Ma musique exprime tout un brassage culturel d’ici et d’ailleurs.

Quel est le retour que vous avez?

Un retour très positif et c’est toujours un plaisir de savoir que je peux apporter un plus dans le milieu artistique Africain.

On a l’impression que cette musique est plus appréciée par les Européens…

C’est le constat, mais que veux-tu? Quand tu crées ta chose tu ne penses pas tout de suite ou tu veux l’amener. C’est dire cette chose, elle vient de toi, de tes expériences, de ton inspiration et maintenant le résultat te surprend en fait. Donc moi, j’aime laisser le résultat me surprendre. Le travail avant tout et après la surprise suit.

Aujourd’hui, qu’est ce que cette musique vous apporte?

Cette musique m’apporte beaucoup d’ouverture, de partage artistique, beaucoup plus de connaissances et de collaboration avec d’autres artistes. Et cela me permet de faire le tour du monde. Alors, c’est une fierté et un honneur pour moi de savoir qu’avec cette musique que je fais, je peux voyager et qu’elle peut traverser le reste du monde. je suis très heureuse de pouvoir contribuer à faire découvrir la musique Burkinabè à travers le monde.

Outre la musique, avez-vous un but spécifique dans la vie?

Outre la musique je milite pour le droit de la femme, de l’enfance car je me dis que tout enfant a le droit d’aller à l’école, le droit de savoir et parce que l’enfant c’est l’avenir de tout un peuple. Et la femme, elle est fragile. La femme c’est celle-là qui contribue à éclairer le monde. Donc il faut la respecter, la chérir, il faut simplement l’aimer. C’est ma lutte de chaque jour. C’est un but dans lequel je travaille aussi mise à part la musique. J’ai une association qui milite pour le droit de la santé, de la reproduction de la femme et l’éducation sexuelle. Je suis aussi coordinatrice du  Festival des arts d'ascendance Mandé (FESTAM). Ce festival permet de réunir toutes les différentes communautés d’Afrique de l’empire Mandé.

Ce festival, où se tient-il?

Il se tient à Bobo Dioulasso chaque année. Et le prochain va se faire le mois d’octobre, du 18 au 21 octobre 2018.

Pensez-vous qu’il y a assez de femmes dans les instances de décisions?

Aujourd’hui, il y en a.

Pensez-vous que c’est assez?

Ce n’est pas encore assez, mais déjà le peu qu’il y a, change beaucoup pour le monde Et je pense qu’il faut davantage avoir des femmes qui puissent prendre des décisions. Parce que la femme, elle réfléchit mille et une fois avant de prendre une décision. Et quand elle prend une décision, elle peut changer beaucoup de choses dans le monde.

Vous lisez actuellement l’actualité ivoirienne. Il y a des enlèvements d’enfants qu’on retrouve parfois tués. Quel est votre mot là-dessus?

Je pense que nul n’a le droit d’ôter la vie à son semblable. Et c’est horrible et je reste sans voix la dessus, car c’est déplorable d’agir ainsi, c’est méchant et cruel.
Et ceux qui le font, je ne pense vraiment pas qu’ils auront un avenir meilleur. Ils pensent certainement qu’ils font du bien à eux-mêmes. Vous savez, l’argent est bon certes. Mais l’homme est encore meilleur. Aujourd’hui, le matériel a pris le dessus sur l’être humain, parce que l’homme lui-même s’est laissé faire. Je crois que l’homme doit prendre conscience et savoir qu’il a toujours de la valeur, qu’il a toujours de l’importance. Il faut que l’homme ait toujours à l’esprit qu’il a quelque chose à apporter dans ce monde et que l’homme a toujours une valeur qui peut nous permettre de toujours nous réunir. Mieux, je dirai, il a une valeur qui peut nous permettre de contribuer à la paix, au développement d’un pays d’une façon très positive et il faut simplement arrêter de faire subir cette ignominie à des innocents, des êtres sans défenses. C’est méchant, c’est une malédiction. Et il faut que ça s’arrête.

Quels sont les artistes qui vous inspirent?

Il y en a une kyrielle. Mais Angélique Kidjo, mama africa Myriam Makeba,qui n’est plus de ce monde, Meiway sont à la première loge et bien d’autres.

A quand la sortie du prochain album et le prochain concert?

Le prochain album s’annonce pour le mois de mai à l’institut français de Bobo Dioulasso, au Burkina Faso. Je suis donc en Côte d’Ivoire, mon pays d'adoption justement, pour en présenter un bout en attendant la sortie officielle au Burkina Faso. A tout seigneur, tout honneur. Les Ivoiriens sont les tous premiers à découvrir cette oeuvre.
Ce cocktail de fusion à travers l’accumulation des expériences que j’ai eues ici et là. Un cocktail de brassage culturel chanté en Mooré et en Bissa, également en dioula. Le titre de l’album c’est ‘’Tangarè’’ qui, en Bissa, veut dire ‘’entre les collines’’.

Pour clore notre entretien, un mot sur les derniers événements au Burkina…

J’admets que tout la rancœur est, pour une bonne part causée par la frustration, le manque de communication, à la base de ce déchirement. Parfois même au manque de reconnaissance. Il faut que nous ayons une dose d'humilité, qu’on arrive à pouvoir reconnaître nos torts, à se pardonner par dessus tout. Quand on demande pardon, cela exprime une grandeur d’esprit. Et il faut qu’on arrête de se faire du mal, ça ne sert pas.

 

Florence Bayala