Aby Denise / Styliste : ``avec le temps et la patience, ma mayonnaise va prendre``

Formée à ESMOD, 1ère école de Stylisme-Modèlisme en Tunisie, Denise Aby, styliste, a fait 4 ans de formation haute couture Dame spécialement dans cette grande école d’excellence.

Installée à Abidjan, au grand bonheur des dandys et férus de l’élégance, Denise Aby a opté pour le prêt à porter homme, femme et enfant. Elle nous ouvre son coeur et accepte, à travers cet entretien exclusif, de partager son expérience.

Qu'est-ce qui vous a donné l'envie de faire du stylisme ?

Je voudrais, avant tout, rendre un hommage à ma mère qui est à mes yeux une grande source d’inspiration et de motivation. J'aime dire, et bien souvent d’ailleurs, que ma mère est un modèle vu que c'est une dame qui a également fait la couture. Sans oublier ma grande mère, elle aussi anciennement couturière.  J’estime que ces personnes, très importantes dans ma vie qui avaient déjà embrassé le domaine, m’ont certainement influencée et, par la force des choses, je m’y suis mise. J’ai tenté l’aventure, je me suis donc jetée à l'eau. Ma maman, vous le comprendrez aisément, est objectivement ma cible, mon idole étant donné que toutes mes créations sont par rapport à elle et lui sont dédiées.

Dites nous comment le monde du stylisme en Côte d'Ivoire se porte?

Cette question vient à point nommé, en effet, elle aidera à éclairer les lanternes quant à l’utilisation du mot styliste. En réalité, le stylisme est méconnu. On a donc tendance à confondre, par abus bien souvent, le styliste et le couturier. Alors il est important de marquer une halte et faire la part des choses. Ainsi, le couturier et le tailleur font un: c'est celui qui coupe, qui monte à l’image du couturier du quartier qui se dit styliste. A contrario, le styliste est différent du couturier. Le styliste, pour bien dire, est le créateur, le concepteur, celui qui a du génie et le compas dans les yeux. Il est, à n’en point douter, celui qui doit être doté d'un don d'imagination au point ou à la vue d’un tissu, d’une plante, il soit capable de créer quelque chose de beau qui épouse la forme, l’assentiment et la satisfaction du client. Le styliste est obligatoirement en combinaison avec une maison de couture. A titre illustratif, une grande marque qu'on connait travaille forcément avec un styliste, c’est-à-dire un concepteur qui vous permet de renouveler votre collection chaque année, celui qui fait des croquis concernant votre thème, votre goût, vos aspirations du moment et fait sortir la collection des moments 50, 100, 200... modèles. Et c’est après son travail qu’intervient le couturier qui, lui, va réaliser les modèles dessinés, autrement dit il fait le montage, la mise en forme. Pour faire simple, on est à même de dire que le styliste est l'architecte et le couturier, le maçon.

Qu’est ce que ce métier vous apporte -t-il?

En toute chose, il faut un brin de passion pour exceller et donner le meilleur de soi. D'abord, le stylisme pour moi, c'est avant tout une passion, je prends un réel plaisir à faire cela. Et la passion, s’exaltant et s’adoucissant également par l’aveu, le juste milieu n’est peut-être en rien plus désirable que dans la confiance et la réserve à l’égard des personnes que nous aimons. J’avoue que j'ai toujours aimé bien m'habiller. Pour la petite histoire, on m'offrait, avant, des poupées barbies. Puisque je n'aimais pas les robes, je prenais des tissus, je les coupais et j’habillais mes poupées. J'ai un faible pour les beaux vêtements et j’aime, par dessus tout, bien me vêtir, et voir mes ami(e) s bien habillé(e)s est un enthousiasme personnel. Donc c'est un plaisir, une véritable satisfaction que ça m'apporte.

Vous rappelez vous votre première création ?

Et bien, c’est de la mer à boire que de me souvenir de ma première création. il y'a tellement longtemps, mon Dieu! Je vais tout de même essayer et si je ne me trompe pas, je devais être au collège en classe de 4ème. J’ai à l’esprit qu’au cours d’un devoir, j'étais entrain de dessiner sur ma fiche de devoir. Je me suis surprise de n’avoir pas fait le devoir. A cause du dessin le devoir est passé et le professeur, surpris, m'a demandé: ''Tu n'as pas fait ton devoir?''. J'ai rétorqué que j'avais oublié et que j'étais entrain de dessiner. C'était mon professeur et la robe que je dessinais. C'est là que j'ai réalisé mon forfait et j’ai, en ce moment-là, dû faire la part des choses.

Pensez-vous qu’il y ait une différence entre les autres stylistes de votre génération et vous?

Nul doute qu’il y a, bien sûre, une réelle différence parce que les stylistes de ma génération, si vous le voulez, ne sont pas répandus et connus ici en Afrique. Concernant mon pays, la Côte d'Ivoire, ils ne sont pas très connus. En Europe, en revanche, nous sommes une pléiade de créateurs et les commodités y sont réunies. Il y'a même des agences de style dans lesquelles tu peux te rendre et une fois là-bas tu déclines ton identité en ces termes: ''Moi je suis telle marque, j'ai besoin d'un styliste.'' Mais ici cela n'existe même pas. Et j'ai la nette impression et sans me tromper que je suis le précurseur. Je serai le ‘‘Moïse’’ (Rire) et finalement le messie parce que je suis seule à m’y lancer. Les autres qui font le même métier que moi, nous ne nous côtoyons pas. Du coup on a l'impression d'être unique dans cette aventure.

Quelles sont les matières que vous utilisez dans vos créations?

Mon rêve c'est d'utiliser le pagne traditionnel tissé que les femmes confectionnent dans les villages. Mais ce que moi j'utilise la plupart du temps c'est le coton. Donc tout ce qui est matière à base de coton. Je rentre un peu dans les tissus à base d'élasthanne, un peu le stretch mais beaucoup de coton.

Les expositions pour les stylistes sont-elles courantes ?

Je puis vous dire oui pour ce qui concerne les expositions pour couturier. En nous référant à la précision faite entre couturier et styliste, il convient de dire que le styliste n'expose pas vraiment. Aujourd'hui, avec la chance que j'ai eue d'exposer mon service, il est utile de souligner que c'est un service, puisqu’on ne fait que dessiner. En plus du dessin, nous offrons une expertise. C’est cela le stylisme. Après, nous proposons des prototypes dont nous disposons. Mais de là à dire que le marché est ouvert pour le styliste, je ne puis, à ce sujet, répondre ni par oui ni par non. Toutefois, il m’est possible de dire qu'il faut saisir l'opportunité en tant que styliste, créateur. Pas question de dormir sur ses lauriers, mais plutôt prendre son bâton de pèlerin. Rentrer dans tous les salons, les défilés de modes, et présenter ce concept pour le vulgariser et l’enraciner dans l'esprit des gens. Montrer qu’il s’agit de quelque chose que tout le monde peut utiliser.

Comment travaillez-vous au quotidien ?

Le quotidien est celui d’un travailleur soucieux de faire mieux que la veille. Et je ne me mets aucune pression puisque, je l’ai dit tantôt, c'est ma passion. Donc tous les matins, au réveil à 7h et après mon petit déjeuner, juste un moment de répit, vu que je suis mon propre patron (rire), je suis à coté de ma table de couture et le travail commence. Quand j'ai des commandes, je reste jusqu'à tard dans la nuit parce que je suis seule et je tiens au respect des rendez-vous donc de la parole donnée. Je suis la couturière, la commerciale, celle qui vend les tenues et celle qui achète les tissus. C'est encore moi et moi seule qui prends les mesures (rire).
La passion aidant, je m'en sors bien car j'aime bien cela, je ne vois pas que ça me prend trop de temps, de la santé, de la force donc je me lance. j'ai commencé déjà à la maison. Je suis encore à la maison, chez moi, aux Deux-Plateaux Vallon, près de SOCOCE. J'ai mon atelier dans une petite dépendance à l'arrière cour de la maison. J'ai tout ce qu’il faut: ma table de coupe de couture, mes machines dont une pour surfiler, une pour faire le boutonnage, une autre pour la broderie, la piqueuse classique... . J’estime qu'avec le temps et la patience, ma mayonnaise va prendre. Il y aura plus d’engouement et plus d'ampleur, ça sera plus structuré, mieux organisé. Pour l'instant, je vis de ma passion. Je veux démarrer sans attendre d'avoir un atelier, des couturiers, encore des machines, non. J'ai commencé et tout pour le mieux.

Quelles difficultés rencontrez-vous dans votre métier ?

Les seules difficultés qui puissent constituer une entrave, c’est bien l'organisation. Quand je participe à un salon, j'expose mes modèles. Et lorsqu’une cliente fascinée par les modèles me dit après: ''Denise j'ai besoin d'une tenue pour samedi''. Je perds un peu pied puisque, si je ne vais pas m’y mettre les minutes qui suivent, je suis bien consciente que je n'aurai le temps ni le lendemain ni le surlendemain. Je prends donc une pause, je m'absente et je reviens. Une bonne organisation est donc impérative, sinon cela m'embête vraiment.

Des conseils à donner aux personnes désireuses de devenir styliste?

Les personnes désireuses de devenir stylistes, je les invite, d’emblée, à comprendre bien la définition du styliste, ensuite faire la différence avec le couturier. La couture est quand même difficile, c'est un métier de passion.  Le couturier est comme le cordonnier ou le menuisier car il leur faudra aimer et s’appliquer réellement sur les finitions de ce qu'ils confectionnent. C'est le conseil que je peux donner aux couturiers. Qu'ils aiment ce qu'ils font, tout part avec la passion. Ils devront aller avec le souci et la ferme conviction de plaire, de faire plaisir à leurs clients mais à lui même aussi. Il faudrait que tout ce qu'ils font, qu'ils le fassent bien, propre et dans le temps.

Pour le styliste, celui qui a le don de créativité, pour vous donner un secret, je pense que tous les êtres humains sont des stylistes. Il suffit de bien manipuler le crayon et le stylo et ça prend. Parce qu'on a chacun un goût et des couleurs différents. On a nous même une composition physique différente et une appréciation différente. Cela dit, en tant que conseiller comme on a chacun le don de stylisme en nous, celui qui sent ce don en lui, qu'il commence à se lancer déjà même à la maison. Apprendre à dessiner tout ce qui lui passe par la tête, que ce soit le stylisme de vêtement, et même de nourriture tout ce qui est gastronomique, ou même la décoration... Peu importe, le stylisme passe partout. On a le don en nous, il ne faut pas attendre les infrastructures, la structuration lançons déjà.

 

 

Florence Bayala