Hapsatou Sy: ``Le féminisme, c`est un esprit d`indépendance avant tout``

Chef d'entreprise, présentatrice et désormais auteure, tout réussi à Hapsatou Sy. Cette touche-à-tout de talent, mère d'une petite fille, nous parle de sa vision de l'entreprenariat, de féminisme et de charge mentale.

Dans son showroom parisien, Hapsatou Sy rayonne. La jeune femme, mère d'une petite fille de 10 mois, est souriante et détendue. Elle vient de sortir son première livre Partie de rien (éd. Dunod) dans lequel elle raconte son parcours, de la création de sa première entreprise dédiée à la beauté à son ascension à la télévision. Un succès qui n'est pas près de s'arrêter tant Hapsatou Sy semble déterminée à continuer d'évoluer. Une vision énergique et volontaire qu'elle s'efforce aujourd'hui de partager avec le plus grand nombre.

C'est quoi pour vous le féminisme?

En premier lieu, c'est considérer que les hommes et les femmes sont égaux. Plus concrètement, ce sont des actions au quotidien: le fait de travailler, d'aller voter, c'est déjà être féministe. Pour moi, certaines femmes sont des symboles, comme Simone Veil ou Roselyne Bachelot. Elles n'ont pas hésité à porter des combats, jusqu'à l'Assemblée nationale, qui servent une cause et s'inscrivent dans le temps.

Avez-vous eu des déclics dans votre perception du féminisme?

Plus jeune, le féminisme était une notion très floue pour moi. Découvrir une femme comme Oprah Winfrey a été un déclic. C'est une femme d'action, qui s'est toujours battue. Le fait que mes parents m'aient laissé prendre mon indépendance dans une culture peul où la femme a moins de liberté que l'homme m'a aussi beaucoup marquée. Ils m'ont aidée à comprendre que je pouvais devenir la femme que je voulais être.

Que vous a transmis votre mère?

Beaucoup de force et une capacité de convaincre. Quand ma mère voulait quelque chose, elle ne lâchait rien. Et pourtant elle a été mariée à 13 ans, dans une culture où l'excision existait. Elle a eu huit enfants, quatre filles et quatre garçons, et nous a à tous enseigné que si l'on veut avancer dans la vie, il ne faut pas se laisser faire. Personne n'a le droit d'empiéter sur notre liberté. Cela peut sembler contradictoire avec sa propre histoire mais cela montre qu'elle voulait une vie différente pour ses filles.

Quand vous sentez-vous féminine?

Tout le temps et encore plus depuis que j'ai un enfant. La féminité est une façon d'être, pas un physique. On peut être très féminine sans artifice. Depuis que j'ai accouché, j'ai pris un peu de ventre. J'ai bien conscience que la société peut être dure avec ces rondeurs post-accouchement, mais moi je le vis très bien. C'est un signe de féminité et de puissance.

La société contribue-t-elle à perpétuer certains clichés sur les femmes?

Oui et c'est dommage. On voudrait nous faire croire que les hommes sont comme ci et les femmes comme ça. C'est un leurre. De cette manière, on perpétue certaines représentations: un chef d'entreprise serait forcément plein de virilité. Une femme peut aussi savoir s'imposer sans être "masculine".

Comme vivez-vous le fait d'être une femme chef d'entreprise?

Il me semble important d'assumer ma position et de la vivre naturellement, sans culpabiliser ni m'autocensurer. En étant le capitaine de ce bateau, on n'a donc pas d'autre choix que d'avoir de l'autorité, de la rigueur mais aussi de l'empathie.

Dans le monde de l'entreprise, beaucoup de femmes managers demandent encore à d'autres femmes en entretien d'embauche si elles comptent avoir des enfants prochainement. C'est à nous d'ouvrir la voie et de changer ces pratiques. Dans ma société, il n'y a pas de différences de salaire entre hommes et femmes. Si elle grandit encore, il est certain que j'aurais une salle pour que les femmes enceintes puissent se reposer. Il est inadmissible d'avoir à culpabiliser au sujet de sa grossesse.

Quand vous sentez-vous féministe?

Le message de ma marque c'est "Sois belle et fais". J'aimerais que les jeunes filles y voient un encouragement à changer de vie si elles le souhaitent, à se lancer dans l'entrepreneuriat si elles le veulent ou à partir à l'étranger. C'est un esprit d'indépendance avant tout.

Ressentez-vous une pression à tout réussir?

Aucune! Si je suis complètement honnête, j'en ai tout de même une: celle de ne pas décevoir les jeunes qui m'écrivent, qui me disent que je leur ai donné envie d'avancer. Si j'arrête, j'impacte le rêve de ces jeunes gens qui ont puisé un peu d'inspiration en moi. Mais je n'ai aucune autre pression. Je refuse de me soumettre à un regard social potentiellement réprobateur. Quand je veux quitter le travail plus tôt, je le fais. Cela fait partie des avantages d'être à la tête de son entreprise. C'est évidemment plus difficile quand on est salarié mais on a toujours la main sur le rythme de vie que l'on s'impose. Il faut s'écouter autant que possible.  

Comment les hommes peuvent-ils faire avancer les choses?

C'est à nous de renverser la vapeur. Dès l'enfance, les rôles sont figés: les filles sont des princesses qui se brossent les cheveux en attendant le prince charmant, les garçons sont des super héros, des conquérants. Aujourd'hui, il faut dire que les princesses qui libèrent le monde, cela existe aussi! Pour cela, il me semble important de lâcher un peu prise. En tant que femmes, on se met beaucoup de choses sur le dos. J'ai vu beaucoup de copines me dire qu'elles voulaient que leur conjoint prenne leurs responsabilités, avec les enfants notamment, mais au bout de 5 minutes elles les leur reprennent en leur disant qu'ils ne savent pas faire. S'ils n'apprennent pas, ils n'auront jamais la place qu'ils doivent avoir.

Quelles relations entretenez-vous avec les vêtements, le maquillage?

Quand on crée une marque de cosmétiques, on a un rôle social. Se maquiller, c'est une façon de manipuler son apparence mais ces artifices sont aussi des compagnons de confiance. Ils permettent à ceux qui ne sont pas très bien dans leur peau de se sentir mieux. On vient ponctuer des éléments de soi mais cela ne fait pas tout.

Quels principes éducatifs souhaitez-vous transmettre à votre enfant?

La liberté avant tout! Celle d'être qui elle veut, de faire ce qu'elle veut, quand elle veut. Mais aussi l'égalité et la fraternité. J'aimerais que ma fille soit dans le partage, ouverte aux autres, qu'elle aime son prochain pour mener une belle vie.

 

Source: lexpress.fr