Les confessions intimes d`un couple atteint du Vih-Sida depuis 19 ans

A.D et J.C, couples vivant avec le virus du Sida, ne s’apitoient pas sur leur sort. Ils vivent leur état séropositif sans complexe, ni peur du lendemain. Le couple donne rendez-vous au siège du Réseau national des personnes vivant avec le Vih, dans un quartier populeux de Dakar. L’homme, entrepreneur dans le civil, est habillé d’un boubou traditionnel blanc. On le sent un peu coincé, gêné aux entournures par le rituel de l’interview. La dame, agent administratif de 43 ans, habillée d’une tunique traditionnelle bleue, n’a pas froid aux yeux. Elle vit son statut séropositif avec bravoure et détermination. A l’heure où le Sénégal des amoureux de la Saint-Valentin court dans tous les sens pour fêter le 14 février. Eux luttent pour entretenir leur flamme d’amour incrustée d’un intrus sournois : Vih-Sida. Ce couple vivant avec le Virus fait tomber le tabou sur cette maladie en parlant de leur sexualité, de leur fabuleuse histoire d’amour. Des confessions intimes qui interpellent les consciences. Une vraie leçon de vie.

A.D et J.C, vous êtes mariés depuis combien d’années ?

A.D, l’épouse : Nous sommes ensemble depuis 1996. Nous vivions de façon normale dans un ménage monogame. Maintenant, mon mari est devenu polygame, il y a de cela trois ans.

Qui a été le premier à découvrir  son statut sérologique ?

A.D : J’ai été la première à découvrir mon état sérologique, parce que j’étais malade à la suite d’un accouchement en 1997. Quand j’ai accouché, j’étais malade et je commençais à faire des séries d’analyses, des consultations… C’est par la suite qu’on a découvert l’infection à Vih.

Comment avez-vous vécu l’annonce de cette infection à Vih ?

(Spontanée) C’était très dur. Comme tout le monde l’a vécu au début, c’était très dur. Ce n’était pas évident, mais je me suis dit que c’est le destin. Très vite, j’ai vu des personnes qui vivaient avec le virus et j’ai partagé leur expérience. Et puis, j’ai commencé à vivre ma vie. «Le jour que le médecin m’a dit, d’un ton sec, que ma femme est séropositive»

J.C, comment avez-vous découvert le statut sérologique de votre épouse ?

J.C, le mari : En fait, c’est moi qui ai récupéré les résultats de ses analyses. Elle était dans son lit, attendant d’accoucher, les médecins ne pouvaient pas lui en parler directement. Ils ont fait appel à moi pour me donner l’information. J’ai attendu qu’on rentre chez nous et à tête reposée pour annoncer à mon épouse la nouvelle. Mais au fil des jours, je me suis rendu compte qu’elle était plus brave que moi. Parce que si ce n’était pas elle, j’allais péter les plombs depuis belle lurette. Je n’ai jamais imaginé contracter ce virus de ma vie. Mais ce qui m’a le plus choqué, c’est la manière dont le médecin me l’a annoncé. Car, lorsque les résultats sont sortis, je suis allé à son bureau à l’hôpital Fann. L’homme à la blouse blanche m’a tendu, de façon lâche, les résultats en me disant : «Ton épouse a le Sida hein.» Il me l’a dit comme ça, d’un ton sec. Et il est passé par le nom de ma femme pour me le dire. Je suis resté sans voix et c’est Dieu qui m’a aidé à rester zen. On m’a mis en rapport, par la suite, avec une autre dame qui s’est bien occupée de moi. Elle m’a rassuré en me disant qu’on allait tout faire pour lui faciliter la prise en charge. Et elle m’a demandé de faire le test, ce que j’ai refusé dans un premier temps, parce que je savais que j’avais attrapé le virus et que c’était inutile de faire le test. Je lui disais que je préférais mourir que de connaître mon statut sérologique. J’ai finalement fait le test et ça s’est avéré positif. J’ai toujours évité de suivre les prescriptions des médecins, mais c’est grâce à mon épouse que j’ai réussi à prendre mes médicaments, à respecter mes rendez-vous.

Votre enfant qui est né en 1997, a-t-il contracté le virus ?

A.D : Notre fille n’a pas contracté l’infection. Dieu merci, elle est en niveau pré-Baccalauréat, elle est en classe de 1ère. Nous avons eu un autre enfant qui a été épargné par le virus. «Machallah», nous rendons grâce à Dieu. Ce second enfant a été facilité par le Programme de la transmission mère-enfant. J’ai été prise en charge dès le début de ma grossesse, ce qui fait que j’ai évité de transmettre l’infection à mon second enfant. J’ai été très bien traitée, on me donnait du lait pour que je puisse nourrir mon bébé dans de bonnes conditions.

Quand vous voyez vos enfants en bonne santé, est-ce que ça ne vous donne pas plus de force pour affronter le Vih-Sida ?

J.C : Bien sûr ! Je jette la responsabilité chez certains médias qui ne cessent de donner à cette maladie une dimension tragique. Quand on dit aux gens à tout bout de champ que le virus tue, qu’on le ressasse à chaque fois, finalement les gens ont peur. Mais il faut vivre avec l’infection pour se rendre compte que la maladie n’est pas aussi grave comme beaucoup de personnes le pensent. Si, de façon brutale, on vous dit que vous avez contracté le virus du Sida, mais pour peu vous risquez de perdre la tête. L’autre jour, je discutais avec mon mécanicien, il me disait qu’il acceptait d’avoir toutes les maladies du monde sauf le Sida. Alors qu’il ne savait pas que je vis avec la maladie et cela ne m’empêche pas de vivre. «Nous sommes infectés par le virus et pourtant nos enfants sont sains et saufs»

Est-ce que vos enfants sont au courant de votre infection ?

J.C : Mes enfants ne savent pas de quoi je souffre, je ne leur ai encore rien dit. Même ma propre famille n’est pas au courant.

A.D : C’est vrai que nous n’avons rien dit aux enfants, mais des fois, j’ai l’impression qu’ils sont au courant. Parce que celle qui est née en 1997 est très intelligente. Souvent, c’est elle qui nous file nos médicaments à l’heure de la prise. Comme je règle ma sonnerie de portable à l’heure des prises de médicaments, c’est elle qui nous met la pression pour que nous prenions nos médicaments. Un jour, elle m’a fait une remarque : «Vous deux là, vous êtes des malades bizarres, vous prenez des médicaments et vous ne guérissez jamais.» Quand elle m’a dit ça, j’ai commencé à être plus attentive.

Comment arrivez-vous à vivre avec l’infection dans votre vie de couple ?

J.C : La vraie bataille, c’est de remettre tout entre les mains de Dieu. Cela permet de vivre l’infection sans drame. Il fut un temps, madame a eu ses moments de faiblesse, c’est moi qui la consolais. Parfois quand ça lui prenait, elle se mettait dans un coin et pleurait toutes les larmes de son corps, mais il suffit de convoquer Dieu pour qu’elle oublie. Quand j’ai su que j’avais contracté le virus, j’étais prêt à mourir. Je n’attendais que la mort. Parce que la façon dont on a tendance, au Sénégal, à présenter le Sida, ça donne froid dans le dos. Et pour moi, je trouve que le diabète est plus dangereux que le Sida.

Comment vit-on sa sexualité quand on est séropositifs ?

A.D : Nous vivons notre sexualité comme tout autre couple. Tout au début de la maladie, les discours des techniciens de santé et des médias faisaient peur. Par exemple, l’on nous disait non, vous ne pouvez pas faire d’enfant, il faut se protéger quand vous entretenez des rapports sexuels, vous risquez de vous réinfecter, mais je n’ai jamais appliqué ses recommandations. Je vis ma sexualité comme une personne normale. J’ai mes enfants et je continue d’avoir des rapports sexuels sans protection. Mais ce qui est important, c’est que je continue à prendre des médicaments et Dieu merci, je me porte à merveille.

J.C : A ce niveau, nous n’avons aucun problème. Nous vivons notre sexualité le plus normalement du monde.

Comment comptez-vous célébrer la Saint-Valentin, avez-vous prévu quelque chose de spécial ?

A.D : (Rires) A notre âge, nous avons dépassé la période où nous nous mettons la pression pour célébrer la Saint-Valentin. Nous avons des enfants qui ont l’âge de célébrer cette fête. Mais, comme c’est une fête de couple, on va se partager un bon dîner, faire la fête en famille et passer de bons moments ensemble. Est-ce que le fait de vivre avec l’infection n’entrave pas votre élan amoureux.

Est-ce que vous gardez toujours les mêmes aptitudes amoureuses, la même complicité, faire des sorties, s’offrir des cadeaux etc. ?

A.D : Malheureusement, vous n’êtes pas venu à la maison, sinon j’allais vous montrer tout mon arsenal intimiste (rires). Le Vih, c’est juste une infection et cela peut bousculer les habitudes de vie. Parce qu’il faut prendre des médicaments, suivre un traitement. Mais je fais tout ce qu’une femme mariée fait dans son foyer. Les week-ends, quand je ne travaille pas, je fais la cuisine. Je connais le plat préféré de mon mari et je le lui prépare tous les quinze jours. On fréquente les plages pendant les vacances, on fait souvent le marché ensemble et il me tient compagnie quand je fais la cuisine.

J.C : C’est pour moi un plaisir de l’accompagner au marché. J’aime bien aussi la regarder mitonner des plats. C’est un des moments de notre vie que j’aime bien. «Le Sida a réussi à nous unir davantage»

Est-ce qu’on peut dire que la maladie vous a davantage unis ?

A.D : Comme dans tous les couples, nous avons parfois nos querelles internes. Mais à chaque fois qu’on se souvient de cette maladie qu’on a en commun, on revient à la raison et on se dit que ce n’est pas la peine de se chamailler. Personnellement, j’ai opté pour le meilleur et pour le pire et je resterai dans ce mariage quoiqu’il advienne. Cette maladie a davantage renforcé notre mariage. Tout au début, quand vous avez su que votre femme était malade.

Est-ce que cela n’a pas ébranlé la relation de confiance que vous avez à son égard ?

J.C : La question qu’on se posait était de savoir qui l’avait contracté en premier. Mais les médecins n’ont pas pu le déterminer. Et c’est moi qu’on appelait tous le temps, car madame était enceinte, elle ne pouvait pas faire certains déplacements. J’ai consulté 33 marabouts dans presque tous les coins et recoins du pays. Malheureusement, sans succès.

A.D : Tout au début, tu te poses énormément de questions, mon esprit avait fait le tour du monde. A tête reposée, tu te dis que c’est la volonté divine, cela devait arriver. Après tout, je suis une Musulmane, élevée dans les préceptes de l’Islam. Je prends les choses avec philosophie, je relativise notre situation et m’en remet à Dieu. Quand on prend le cas de ceux qui sont atteints d’une insuffisance rénale, ou de cancer  et qui n’ont pas perdu goût à la vie, on se dit pourquoi ne pas faire comme eux ! Après tout, on est que des êtres humains, on ne doit pas constituer une exception. Je suis resté 11 ans, de 1997 jusqu’en 2008, sans prendre de médicaments. Je suivais mes rendez-vous, je faisais mes bilans pour voir l’évolution de la maladie et c’est en 2008 que j’ai commencé à prendre mes traitements. On a l’impression que le Sida est perçu comme une maladie honteuse.

Est-ce que, quelque part, il n’y a pas une surenchère faite sur cette maladie pour l’aggraver, la rendre très mortelle ?

Les Sénégalais n’ont pas la même mentalité que les Ivoiriens ou Burkinabè qui n’hésitent pas à assumer leurs statuts. Ces pays ont presque démystifiés cette maladie. En me voyant, personne ne peut dire que je suis infectée, les gens doivent le prendre comme un palu ou un diabète. La personne peut vivre avec aussi longtemps que possible sans contaminer qui que ce soit.  Personnellement, je n’irai jamais sur un plateau de télévision pour dévoiler mon statut, je ne suis pas encore prête. Cela fait dix-huit ans que je vis avec le Vih-Sida, mais je le vis positivement.

Au Sénégal, pensez-vous que le personnel de santé devait faire un effort dans le sens d’un meilleur égard envers les personnes porteuses du virus, est-ce qu’ils doivent changer de regarde par rapport à cette maladie ?

J.C : Quand on m’a annoncé la nouvelle de la séropositivité de mon épouse, j’ai même dit à un ami que ma femme allait mourir. J’étais complètement découragé, je n’y croyais plus. J’ai commencé à vendre mon mobilier de maison, j’ai fermé mon Télé-centre que je détenais à l’époque. Je voulais coûte que coûte trouver un guérisseur, puisque l’hôpital ne pouvait pas faire grand-chose. Mais j’ai fini par reprendre mes esprits. A un moment donné, je ne pouvais plus me contenir, j’ai voulu le partager. Mais aujourd’hui, je ne regrette pas de m’avoir retenu.

Vous arrive-t-il d’avoir des envies de fête, de vouloir vous échapper de votre quotidien de personnes infectées par le Vih ?

J.C : Actuellement, cela ne me dérange plus. Au début, je prenais mes médicaments en cachette, mais, maintenant, je ne me cache plus. Et quand arrive l’heure de la prise des médicaments, j’envoie mon fils pour aller me les chercher. Je rends grâce à Dieu, car cette maladie m’a permis de réaliser beaucoup de choses. Elle m’a permis de raffermir ma foi, de faire mon introspection et d’être plus prévoyant. Depuis 18 ans que je vis avec la maladie, je suis aujourd’hui plus positif dans ma manière d’aborder la vie. «J’étais fou de bonheur quand on m’a dit que ma fille était séronégative».

Pouvez-vous nous raconter un moment de bonheur inoubliable dans votre vie de couple vivant avec le virus du Sida ?

A.D : Le jour où j’ai fait une échographie et que le médecin m’a dit que j’attendais un garçon. Je désirais ardemment cet enfant et je voulais, par-dessus tout, avoir un fils. Mon garçon est né et il a aujourd’hui 13 ans. C’est mon unique fils. Il m’a permis d’oublier ma maladie. Et je vous dirai que je n’ai pas souffert avec le Vih. Les premiers mois, c’était dur mais, par la suite, les antirétroviraux ont commencé à être en vente. Le malade devait apporter sa contribution à hauteur de 22 000 FCfa/mois. Heureusement, mon mari était un débrouillard. Il ne restait pas inactif. A cette époque, je ne travaillais pas encore. J’avais quelques appréhensions, vu qu’on attendait notre premier enfant et on ne savait pas encore s’il serait contaminé ou pas. Imaginez un peu, un jeune couple séropositif avec un enfant sur les bras et des médicaments antirétroviraux à acheter tous les mois pour une valeur de 60 000 FCfa. C’était très dur à imaginer. Sans compter les factures d’électricité, d’eau et la location qui nous attendaient. Ce n’était vraiment pas facile. Mais aujourd’hui, je rends grâce à Dieu, j’ai un emploi et j’arrive à me soigner et à prendre en charge mes enfants.

J.C : C’est le jour où nous avons eu les résultats d’analyses pour ma fille et que ces analyses se sont révélées concluantes. Quand elle est née, nous ne savions pas encore que nous étions séropositifs. Ma femme lui donnait le sein maternel, mais elle était très maladive. Nous l’avons emmené partout pour la soigner. En vain. Et quand nous avons effectué les analyses, j’ai dit à ma femme que ce n’était pas la peine d’aller chercher les résultats car, dans ma tête, je me disais que notre fille était condamnée d’avance. Elle m’a encouragé à y aller et miracle, les médecins nous ont dit que notre fille était saine et séronégative. J’étais fou de bonheur.

Quel a été votre plus grand chagrin dans votre vie de couple ?

A.D : C’est le jour où j’ai pris connaissance de la séropositivité de mon mari. Ce jour-là, je me suis rendue, moi-même, à l’hôpital, car les médecins ne cessaient de l’appeler pour qu’il aille prendre ses résultats, mais, il refusait de s’exécuter. A ma sortie de l’hôpital, j’étais tellement déboussolée que j’ai marché de l’hôpital Fann à Castors. J’étais perdue et je n’ai même pas senti que j’ai marché sur une si longue distance. Une fois là-bas, j’ai pris un car qui m’a menée à ma maison. Les pensées se bousculaient dans ma tête. Je pensais à mon fils qui avait juste un mois. Je voyais déjà mes funérailles et dans ma tête, j’avais fini de rédiger mon testament.

J.C : C’était la même chose pour moi. Je me disais que j’étais déjà condamné. Même si on a communiqué la nouvelle à ma femme, en premier.

Est-ce que ce ne sont pas ces questionnements qui fragilisent certains porteurs du virus et qui  précipitent parfois leur mort ?

A.D : Bien sûr ! Surtout si l’on n’est pas soutenu moralement. J.C : Je vais vous raconter une anecdote. A l’hôpital, il y a une femme à qui les médecins ont déclaré sa séropositivité. Elle a levé les mains au ciel et a détalé comme une folle. Pour elle, c’était la fin du monde. «Je suis Wadiste et mon épouse aime Macky, notre couple a failli voler en éclats lors de la Présidentielle de 2012»

Est-ce que la religion a été un refuge pour vous dans la lutte contre le Vih-Sida ?

A.D : Bien sûr ! Pour tout croyant, il est bon de se réfugier dans sa religion quand une affliction vous tombe dessus. Et Dieu aime les endurants. On s’en remet à la volonté divine et on s’accroche à notre foi comme à une bouée de sauvetage.

 

Source: igfm.sn